Bonne retraite, Jocelyne : Le zoo familial

Jocelyne est ébranlée par le décès d’une amie et collègue de travail qui n’a finalement jamais pu profiter de ses années dorées. C’est ressentant la pressante envie de jouir de tout le temps qu’il lui reste qu’elle choisit de prendre sa retraite dont elle fait l’annonce à sa famille réunie pour l’occasion. Telle est la prémisse de la pièce qui sert finalement de prétexte pour nous amener au cœur d’une réunion familiale qui tourne au vinaigre et dans laquelle l’agressivité passive, les vielles rancœurs et les malaises se font intempestifs.

Après avoir reçu, en 2016, le prix littéraire du gouverneur général pour sa pièce Comment réussir un poulet, Fabien Cloutier s’accroche, cette fois-ci, un peu les pieds dans le tapis. Pour insuffler du réalisme à la situation de «party de famille», les répliques courtes s’entremêlent pendant les 75 minutes de la pièce, donnant du fil à retordre aux comédiens qui s’y perdent parfois, comme le public, qui ne sait plus ou donner de la tête. Les identifications sont faciles dans ce texte où les personnages prennent des traits de caricatures. On reconnait aisément «la belle-sœur Sophie», «la matante Brigitte» et le «mononcle Paul», mais au détriment, parfois, de nuances plus crédibles. Cependant, l’auteur, dont on reconnait la tendance à nous plonger dans l’inconfort, réussi et signe une fois de plus un texte qui nous fait vivre des malaises bien palpables. La salle s’esclaffe, et «ça jase» dans La Licorne après certaines révélations de personnages.

Entre les lignes, l’argument principal se devine dans les nombreuses références animalières dont le texte est truffé. «Ça prend un doctorat pour enlever la merde du bord des singes, mais rien pour enlever celle du bord des humains.», nous lance Paul (Jean-Guy Bouchard) faisant référence aux tâches ménagères dans un zoo et démontrant toute l’artificialité du clivage homme-animal. Dans cette famille, comme dans la jungle, c’est la loi du plus fort et chacun pour soi. L’auteur semble vouloir mettre en perspective, grâce à cette représentation des violences intestines d’un clan familial, le côté sauvage et primitif de l’homme. Lorsque le fragile couvert des normes sociales et des civilités est retiré, c’est toute la bestialité de l’humain qui est révélée au grand jour… et on se rappelle alors plus facilement que l’homme descend du singe.

C’est d’ailleurs de cet argument de primitivité que s’inspire la scénographie de Cooke-Sesseville, un duo d’artistes qui en était à sa première création théâtrale. Nous accueillent sur scène palmiers en plastique grandeur nature, feu de camps et fémurs de mammouth. L’ensemble, qui a de quoi surprendre au début, s’avère finalement sous-exploité et la distribution y parait à l’étroit dans une mise en scène signée Fabien Cloutier également qui se montre plutôt statique et qui ne recèle pas de grandes inventions. Dommage, tant qu’à être dans la caricature, on aurait presque aimé les voir se battre à grands coups de fémurs de mammouth…

Ce qui est perdu en qualité dans la gestion de l’espace est cependant gagné dans une direction d’acteurs irréprochable. Doublé de comédiens hors-pairs, c’est de main de maître que Fabien Cloutier a su guider sa distribution pour nous offrir des compositions touchantes et remplies de vérité. S’il est difficile de nuancer par le jeu un texte qui tient parfois du cliché, c’est une réussite de ce côté pour le metteur en scène et ses acteurs. Mention spéciale à Vincent Roy (Keven) qui réussit, même sans réplique, à nous toucher et à rendre extrêmement crédible son personnage que l’on doute un peu plus «lent» que les autres. Prestations toutes aussi marquées de Josée Deschênes en Jocelyne, de Sophie Dion en nounoune de service et de Brigitte Poupart en princesse du capitalisme.

On passe tout de même un agréable 75 minutes à La Licorne en se rendant spectateur de Bonne retraite, Jocelyne. Malgré une mise en scène et un texte qui manquent peut-être un peu d’aboutissement, le jeu touchant des comédiens et les rires que suscitent certaines répliques mémorables réussissent à charmer. Au final, l’œuvre, bien qu’elle ne sera pas le porte-étendard des pièces sur la famille de sa génération, ne risque pas non plus de tomber dans un oubli total et absolu.

Crédits Photos : Suzanne O’Neill