Carte Blanche d’Anne-Élisabeth Bossé : un premier saut concluant

On la sait drôlement sarcastique grâce à ses rafraichissantes performances dans les comédies Les Simone, En tout cas et lors de remises de prix. Il était alors logique que Juste pour rire, dans le but de surprendre les spectateurs tout en s’appuyant sur des personnalités populaires et aimées, confie une animation d’une carte blanche à Anne-Élisabeth Bossé. Une audace qui s’est avérée payante dans le cas de l’actrice. Entourée d’une alléchante brochette d’humoristes établis et à découvrir, elle a chapeauté avec brio la soirée qui, malgré quelques baisses de régime, a surpris et séduit une Place des Arts enthousiaste et encline à de généreuses ovations.

Évoluant dans un décor moderne composé de petits écrans fragmentés et d’une large toile en arrière-plan ajoutant une belle profondeur, la comédienne splendidement vêtue d’un tailleur noir a offert une ouverture  inégale et quelque peu convenue au niveau des blagues mais charismatique à souhait grâce à sa fébrilité irrésistible. Prônant une savoureuse autodérision sur les défauts narcissiques de sa génération, elle a bien fait ses devoirs au cours des six mois de préparation de ce spectacle. Celle que ses amies et collègues surnomment affectueusement Annéli n’a pas prétendu être humoriste, ce qui a été tout en son honneur. Épaulée par de valeureux auteurs tels que Julien Tapp, elle a profité de la nervosité reliée à un défi d’une telle ampleur pour nous parler du côté fonceur de sa mère qui l’inspire à tout faire…ou attendre qu’elle lui dise qu’elle fera quelque chose de difficile à sa place! D’ailleurs, c’est elle qui a officiellement lancé les festivités pour donner lieu à un moment sympathique et touchant.

La joie et la reconnaissance de l’animatrice ont rapidement été contagieuses chez le public qui a apprécié sa manière enjouée et tendre d’introduire des invités qu’elle affectionne véritablement. Le premier a été Dominic Paquet qui a fait crouler de rire la salle en se mettant dans la peau de l’inventeur du calendrier qui présente son outil révolutionnaire à un village complètement paumé. Son numéro relevait avec justesse les incohérences de l’objet. Les éléments comiques provenaient principalement des voix hilarantes de l’artiste et de la gymnastique du dialogue rapide qui se livrait à lui-même et qui donnait aucunement droit à l’erreur. Le rythme effréné a pris une tournure plus calme lorsque Alexandre Forest a pris place sur la scène pour discuter de la transphobie, un sujet phare de son premier spectacle solo intitulé Mûr. Ses observations intelligentes et finement construites ont, la plupart du temps, fait rire jaune d’une façon nécessaire.

Question d’embraser la foule à un point de non-retour, Anne-Élisabeth Bossé a dévoilé une surprise de taille : la vedette du film millionaire Menteur avec laquelle elle partage l’écran a accepté sa demande rédigée dans un courriel de trois lignes lui ayant pris quatre heures. Afin que la réaction du public demeure éclatante jusqu’à la fin, l’animatrice a demandé aux musiciens de se taire. C’est ainsi que nul autre que Louis-José Houde, après une absence de sept ans dans les galas Juste pour Rire, a pris place sous un tonnerre ahurissant d’applaudissements et de cris. Cette vague d’émotions a sans contredit été l’un des moments marquants de cette soirée, bien plus que le numéro de l’humoriste en tant que tel pour tous ceux et celles ayant déjà vu son spectacle Préfère novembre. Il a présenté une ode à la femme monoparentale. Les spectateurs riaient de bon cœur et l’artiste n’a pas manqué d’aplomb, mais ce n’était rien que les admirateurs inconditionnels n’avaient pas déjà entendu.

Bossé a puisé dans le métier qu’elle exerce depuis plus de 25 ans pour pondre un fabuleux sketch dans lequel elle incarne une mariée qui prend la fuite. Le ton soap américain instauré s’est volatilisé la seconde où Katherine Levac, censée interpréter la demoiselle d’honneur compatissante, a décroché de son rôle devant le talent inouïe de sa partenaire. Son personnage de fan naïve qui pose des questions futiles sur le star système a frappé dans le mile. La mise en abyme s’y rattachant aussi. Par la suite, Daniel Tirado a causé un léger froid en s’attaquant au consentement sexuel en mettant l’enfant en position de bourreau, mais certaines de ses répliques ont causé l’hystérie. Le fiancé d’Anne-Élisabeth Bossé, Guillaume Pineault, a participé à son tout premier gala. Le charisme naturel de l’humoriste contrastait parfaitement avec le propos : un cours de palpage d’utérus entre étudiants en ergothérapie. Il s’est même permis une vanne fabuleuse et assez salée à l’endroit de Juste pour Rire que nous ne verrez malheureusement sûrement pas à la télé 😉

L’humoriste de la relève Julien Chidiac a fait une belle impression avec son humour décalé mais accessible. Il a comparé le soleil à d’autres éléments disparates étonnants qui ont donné lieu à des éclats de rire percutants, mais ça a duré trop longtemps. Certaines lignes tombaient à plat, mais la bouille sympathique sans malice de Chidiac a compensé. De son côté, Philippe Laprise a satisfait les spectateurs en racontant ses mésaventures lors d’une pêche au saumon, mais il n’est aucunement sorti de sa zone de confort.

Pour conclure le tout, Anne-Élisabeth Bossé et Sébastien Dubé, le barbu des Denis Drolet, ont servi une version modifiée de leur numéro qui avait fait fureur au Olivier en 2017. Le tandem prétendait être un couple séparé qui hésite à se faire des adieux en bonne et due forme. À la Place des Arts, le duo a encore une fois fait sensation. La complicité entre les deux collaborateurs à l’émission radiophonique Véronique et les fantastiques était palpable, éclatée et sarcastique à profusion. Bossé nageait avec une aisance folle dans l’univers absurde de Dubé. Le ton était bien dosé et les interprétations ne manquaient pas de crédibilité. Ils ont magnifiquement brouillé les cartes de la réalité et de la fiction.

Les Carte Blanche se poursuivent jusqu’à samedi! Tous les détails sont ici!

Crédits Photos : Stéphanie Payez, Éklectik Média