Dans le champ amoureux

Ce soir, à l’Espace Libre, se déroulait l’une des premières représentations de la pièce de théâtre Dans le champ amoureux , écrite et interprétée, entre autres, par Catherine Chabot (Table rase) et mise en scène par Frédéric Blanchette. Avec la production de Corrida, parrainée par le Nouveau Théâtre Expérimental, c’est aux côtés des comédiens Francis-William Rhéaume (dans la pièce, le conjoint de Catherine) et de Fayrolle Junior Jean (son ex et ami) que la comédienne et auteure se produit allègrement sous les projecteurs.

Le décor? Une chambre. Un lit, fait de façon bien modeste, dont la base, servant de rangement, contient autant de livres serrés les uns contre les autres, qu’il y a de gens entassés dans le métro lors d’une heure de pointe à la jonction des lignes Berri-UQÀM/Angrignon. Un coin lecture muni d’un fauteuil, d’une table miniature sur laquelle un maigre cactus tient de peur et d’une lampe. Quelques vêtements échoués par terre, de tout leur long.

Les spectateurs, tels d’habiles voyeurs, prennent place dans les estrades qui encadrent la scène. Les acteurs se laissent désirer quelques minutes, histoire de nous laisser observer le matois décor, puis, le noir survient laissant place à l’entrée des deux protagonistes principaux de la pièce. Le couple, s’affrontant dans une lutte malgracieuse au son de rugissements d’animaux. Et voilà, on entre en scène en pleine querelle amoureuse!

Crédits photo: ©Eva-Maude TC

Elle, petite fille simple originaire du Saguenay ayant fait fondre son accent dans leurs années d’amour, lui, doctorant en philosophie jonglant entre les citations des grands penseurs pour expliquer le fond de son cœur… Deux entités, deux âmes humaines qui tentent de se comprendre en s’entrechoquant. Toutes les raisons sont bonnes pour tester les limites de l’amour de l’autre, mais l’essence même de cette dispute, celle qui vient ébranler la confiance du personnage de Catherine: une autre femme. Son conjoint sort, ce soir, et s’en va coucher avec une autre femme. Elle en est persuadée! Alors elle tente, contre vents et marées, de le faire changer d’idée, de le convaincre de rester à l’appartement. Tous les arguments y passent. Les amants se disputent dans une dualité effrénée, car au fond, ils s’aiment. Chambranlant entre doux souvenirs — leur rencontre à l’école, leurs sentiments qui se développent lors d’une soirée poésie au Parc Émilie-Gamelin, la grève des étudiants… — affrontements, remises en questions et philosophie du cœur (ou ce qu’elle devrait être), les deux amoureux nous démontrent, dans un texte d’une richesse sans fin, que si l’on s’unit, au fond, c’est pour se voir en l’autre… Puis, pour finir par évoluer en contemplant inconsciemment le reflet qu’il nous renvoie de nous-mêmes. Le personnage de Francis-William, tenté à plusieurs reprises de rester auprès de sa douce, finit par quitter vers son rendez-vous. Blessée par son départ, et, surtout, bien assoiffée de vengeance, l’amante appelle son ex, interprété par Fayrolle Junior Jean et arrive la sournoise infidélité qui ne fait le bonheur de personne… pas même le sien. À la croisée des chemins de leur relation, les amoureux, faisant face à une altérité soupirante de nostalgie, réalisent qu’ils ne sont peut-être plus faits pour être ensemble, qu’en fin de compte, ils sont sans doute, l’un pour l’autre, leur propre réflexion dans le miroir. Le noir s’impose de nouveau et une chaude ovation accueille les comédiens, visiblement fiers de leur performance.

Crédits photo: ©Eva-Maude TC

Quoique richissimes, les dialogues entre les personnages ne laissent pas souvent place à la compréhension du spectateur: l’auteure concentre son processus d’écriture sur le réalisme de la scène, soit, ici, deux individus en colère qui s’opposent. Les répliques à la fois chargées de connaissances générales en philosophie, en littérature et d’actualités québécoises ne sont pas nécessairement comprises de tous, mais c’est surtout le rythme de la pièce qui nous prend au dépourvu. Il faudrait la voir encore et encore pour en comprendre les moindres clins d’œil. Nonobstant cela, de nombreux rires sont décrochés tout au long de l’intrigue et il est très agréable d’être intégré au décor, de se sentir concerné, indépendamment, sur notre siège. La nudité est également au rendez-vous, à vous, donc, de juger si vous faites partie du public cible pour cette production.

La pièce sera présentée jusqu’au 27 novembre prochain. Pour réserver votre place, cliquez ici.