Demain matin, Montréal m’attend: L’eau de Javel et le miel du show-business

Ces dernières années, l’incursion du metteur en scène René Richard Cyr dans l’univers du dramaturge légendaire Michel Tremblay est marquée par la métamorphose en théâtre  musical de pièces mythiques comme Les Belles-Soeurs et Sainte-Carmen de la Main. Cette fois-ci, il s’attaque à une œuvre déjà reconnue pour ses mélodies entraînantes de style cabaret : Demain matin, Montréal m’attend. Cette production présentée au Théâtre du Nouveau Monde s’avère non seulement un succès sur tout ligne mais illustre toute la pertinence actuelle des remarques acides de Tremblay sur ce fantastique et ingrat monde qu’est celui du show-business.

Parsemée de protagonistes se retrouvant dans d’autres œuvres de l’auteur, Demain matin, Montréal m’attend relate la quête de gloire de Louise Tétrault (Marie-Andrée Lemieux), une waitress de Saint-Martin, qui, après avoir remporté un concours de chant, décide de quitter son minable taudis pour tenter sa chance comme chanteuse à Montréal. Naïve, elle accourt vers sa sœur, la superstar Lola Lee (Hélène Bourgeois-Leclerc) dans l’espoir de partager les planches et les honneurs. En l’espace d’une soirée, Lola essaie d’attiser l’angoisse de Louise en lui présentant l’envers de la médaille et l’éventail de personnages colorés farcissant le nightlife de Montréal.

©Yves Renaud

Évidemment, la prémisse s’applique encore aujourd’hui. L’instantanéité de la célébrité, son aspect éphémère, ses nombreux sacrifices, les starlettes fabriquées issues du même moule qui se succèdent ainsi que les juteux potins faussement scandaleux régissent toujours  le star système québécois avec la même désolance. Michel Tremblay critique son époque avec une justesse qui n’a aucunement  perdu son mordant.

Au-delà des dénonciations et son caractère dramatique, la pièce réussit à divertir sans temps mort. Pendant plus de 105 minutes sans interruption, le public plonge, tantôt le sourire fendu jusqu’aux oreilles tantôt avec quelques larmes à l’œil, dans l’ère décadent et déchirant des cabarets et bars sur le déclin. À travers des arrangements sonores enveloppants signés François Dompierre, les spectateurs se heurtent à des textes d’une poésie culturelle brute et poignante. Le refrain accrocheur de Demain matin, Montréal m’attend reste férocement dans la tête, au même titre que le désespoir de la duchesse de Langeais (bouleversant Laurent Paquin).

©Yves Renaud

Pour donner vie à ces tours de chant, René Richard Cyr opte pour une mise en scène sobre, laissant l’aspect flamboyant venir des costumes, maquillages et coiffures extravagants conçus respectivement par Judy Jonker, Angelo Barsetti et Carol Gagné. À travers des chorégraphies spectaculaires et des déplacements dynamiques, Cyr apporte au tout une sensibilité nullement appuyée en recourant à des immobilisations de certains personnages lors de numéros ou de monologues. Le chœur parvient également à insuffler du tonus à certaines scènes. Les prouesses vocales de tous les comédiens sans exception épatent, à commencer  celles de la nouvelle venue Marie-Andrée Lemieux.

La scène dans son appellation physique constitue la véritable vedette du décor de Jean Bard. Objet de convoitise de presque tous les personnages, elle occupe toute la place, laissant aux spectateurs le soin de figurer le reste de l’environnement grâce à leur imagination et une modeste toile diffusant des images nocturnes de devantures de bars.

©Yves Renaud

Une autre force de Demain matin, Montréal m’attend réside dans la psychologie complexe des personnages. Tous enfilent un masque, un alter ego pour essayer de se sortir de la misère et encore croire en leurs aspirations farfelues. Lola Lee, Leila Jasmin, la Duchesse, Betty Bird et Marcel-Gérard sont passés maîtres dans l’art du paraître mais n’arrivent pas  à déloger leur écrasante solitude. Le public, qui a accès aux deux tableaux, ne peut donc s’empêcher de se reconnaître en eux et s’attacher profondément.

Il faut dire que les acteurs, tous en symbiose,  offrent des performances exceptionnelles. Dans la peau d’une artiste déchue, Hélène Bourgeois-Leclerc, en plus de dévoiler une jolie voix, transmet avec aplomb l’hypocrisie et la ténacité d’une rêveuse qui ne veut que survivre. En tenancière de bordel désespérée, Kathleen Fortin soutire rires, larmes et admiration grâce à une puissance vocale remarquable. Incarnant un savoureux pastiche du chroniqueur Michel Girouard, caniche en peluche en prime, Benoit McGinnis charme avec sa frivolité magnifiquement nuancée. Finalement, Marie-Andrée Lemieux interprète avec conviction l’optimisme et la détermination de Louise Tétrault.

©Yves Renaud

Présentée au TNM jusqu’au 22 octobre, Demain matin, Montréal m’attend prendra d’assaut plusieurs scènes québécoises dès la fin du mois de mars 2018.

Crédits Photos : Yves Renaud