Un duo remarquable pour une danse retraçant l’histoire des peuples autochtones et du Kanata!

Après une première création en 2017, voici la seconde mouture du spectacle danse-théâtre de la compagnie Ondinnok, « Tlakentli ». Fondée en 1985, Ondinnok est la première compagnie de théâtre francophone amérindien au Canada. Elle est porteuse de plus d’une vingtaine de créations et questionne la complexité de l’identité amérindienne d’hier à aujourd’hui.

À la demande de la danseuse Leticia Vera, Yves Sioui Durand revient sur la création « Tlakentli ». Ainsi le duo Leticia Vera et Carlos Rivera se forme à nouveau sur scène pour témoigner d’une réalité historique dérangeante et pourtant toujours présente dans le cœur et le quotidien de nombreuses personnes. Entre danse et théâtre, deux autochtones du Mexique de descendance nahua et mixtèque nous partagent leur quête identitaire en puisant dans leur culture et l’histoire de leurs ancêtres. On parle ici du Kanata. De la migration d’un peuple vers une terre plus douce et accueillante, le Canada.

Mais revenons au commencement. Car c’est un voyage initiatique, un voyage de l’Humain au travers de son histoire, de sa mythologie, de ses secrets, de ses tabous, de ses rêves et espoirs.

Crédits photos : ©Maxime Côté

Le spectacle commence par un rituel de purification. Chacun son tour, Carlos & Leticia viendront brûler de l’encens au bord de scène dans l’espace sacré. Ils purifieront leur âme, leur esprit et leur corps. Une prière pour être en connexion avec les ancêtres et les peuples dont ils vont narrer l’histoire sur scène. Car dans la culture amérindienne, tout est connecté : le temps est à la fois passé, présent et avenir. Sous le regard d’une représentation d’un dieu aztèque, ils deviennent iguanes, puis serpents. Ils jouent dans la mobilité si particulière de ces reptiles. Une balle (symbole de la Terre) est du plus grand intérêt pour eux. À l’image de l’Évolution, ils deviennent homme et femme. Par la suite, donnent vie au mythe nahua/azteca de la Coatlicue, où un frère menace de tuer et de démembrer sa sœur. On entre de plein fouet dans le sujet central de la pièce. On assiste à une grande violence entre les humains, de l’homme envers la femme ; et au sein même de la famille. Car c’est en remontant si loin dans la mythologie, que la compagnie Ondinnok cherche ici les racines de leur histoire et les réponses aux questions pourquoi et comment?

L’homme et la femme se réconcilient. Ils prennent soin l’un de l’autre, ils s’aiment. De frère et sœur, d’ennemis, ils deviennent homme et femme, amants. Jouissant de la vie sur la terre de leur naissance, très vite quelque chose les appelle ailleurs. Un rêve d’un avenir meilleur, d’un El Dorado. Après la colonisation du Mexique et de l’Amérique du Sud, cette terre pacifiste et merveilleuse se trouverait donc au Nord?! Alors ils partent, remplis d’espoir. Mais il faut s’adapter, oublier, voire renier peu à peu sa culture. Les vêtements changent, la musique, la langue, même leurs croyances. Et cela est du pareil au même pour ceux qui ont fait le choix de partir comme pour ceux qui ont fait celui de rester. La colonisation et le christianisme ont imposé leurs dogmes. Nul ne peut y échapper, sous peine de répression et même de mort. L’identité petit à petit disparaît, elle est effacée de force. Bientôt, les générations se trouvent perdues. Les anciennes réprimant leurs origines, les nouvelles ne sachant rien de leurs ancêtres. La quête d’identité est primordiale.

Crédits photos : ©Maxime Côté

Et puis l’homme devient violent avec la femme. Quelle en est la raison? Pourquoi certains humains souhaitent prendre le pas sur d’autres? C’est une réflexion profonde que pose le spectacle « Tlakentli ». Les auteurs de la pièce rappellent qu’au Mexique, et dans bons nombre de pays d’Amérique du Sud, le patriarcat y est omniprésent. Et que sur tout le continent américain, du nord au sud, les femmes autochtones sont les plus touchées. Le taux de meurtres, de viols et de violence subie par les femmes autochtones est, toujours à l’heure actuelle, majeur, inquiétant et souvent caché ou dénié.

Un autre thème abordé est celui de la terre promise qui finit par se révéler n’être pas si idyllique. Après avoir apprivoisé le froid et les vêtements d’hiver, le couple découvre la beauté de la neige et la magnificence de la nature Nord-américaine. Leticia s’envole tel un oiseau lorsqu’elle dévale les pentes de ski. Heureux, libres, ils semblent enfin avoir trouvé la paix et la liberté. Mais le couperet tombe violemment. Ce pays tant rêvé, tant désiré a sa part d’ombre. Ce pays d’accueil et également celui qui exploite leur terre d’origine. Défile sur l’écran en fond de scène des images des catastrophes écologiques et humaines causées par les exploitations minières criminelles qui détruisent les terres, les individus et les communautés indigènes du Mexique.

Le dernier tableau offre un beau parallèle avec l’histoire des danseurs Leticia et Carlos. Les personnages de scène découvrent leurs origines et de fait, leur identité. Les secrets de famille sont révélés et les protagonistes revêtissent les ornements de leurs ancêtres. Dans le globe avec lequel les reptiles s’amusaient lors du premier tableau, ils découvrent un cœur. Celui de la femme, celui de l’Humain, celui du tout début de l’Histoire, de la mythologie. L’homme s’en saisi et s’apprête à le sacrifier, recommençant ainsi la boucle des meurtres et de la violence. Mais la femme parvient à le reprendre et le ranger en sûreté. Elle lui affirme: « Tu n’arracheras pas mon cœur, tu ne me sacrifieras plus. ». Ayant appris du passé et des erreurs humaines, ils ont enfin compris ; il n’y aura plus de violence, il n’y aura plus de sang versé.


Crédits photos : ©Maxime Côté

La scénographie est simple avec 2 rideaux de morceaux de tissus de part et d’autre de la scène, où sont accrochés les différents costumes des acteurs. En avant-scène, l’espace sacré avec l’encens, les ornements autochtones et les pierres de leur terre. Tout est codifié. Carlos Rivera dit « Les pierres font partie de la terre, transportent tant de savoir. Dans Tlakentli, les pierres sont des messagers, ils transportent la mémoire des ancêtres. » Le fond de scène laisse place à un écran géant où sont projetées les images des photos de famille, du mythe, des dieux, des vidéos des désastres écologiques provoqués par les exploitations minières… Pour accompagner les danseurs dans leur voyage, Hugo Monroy Najera joue en direct sur scène. Compositeur et musicien multi-instrumentiste, il suit les acteurs pas à pas et souligne certains actes, certaines poses.

C’est une création  forte, actuelle qui permet une grande réflexion sur notre Histoire et notre humanité. Les nombreux points évoqués dans « Tlakentli » (la colonisation, la migration, les relations hommes/femmes…) prennent naissance dans l’apparition de l’Humain sur notre planète jusqu’à aujourd’hui. C’est une réflexion universelle. La compagnie Ondinnok s’établit sur les terres d’Amérique et parle plus précisément des cultures mexicaines et autochtones tout en apportant une vision mondiale qui s’applique à de nombreux peuples au travers du monde et des époques.  « Tlakentli » est un spectacle actuel, riche, dénonciateur et porteur d’espoir. Certains sujets sont plus difficiles à aborder que d’autres, mais c’est une grande nécessité de mettre sur scène ce qui dérange et de dénoncer l’inacceptable. Les arts et le théâtre sont le miroir de l’Humanité. Il est important de voir la vérité en face. Reconnaître les erreurs du passé, cesser les erreurs présentes et ne plus jamais les recommencer dans le futur. C’est la voie de « Tlakentli ».