Enragé : cinglé et taré ★★1/2

Débarqué cette fin de semaine dans les salles québécoises après un accueil triomphal en Australie, Enragé marque le retour de Russell Crowe dans un premier rôle au cinéma depuis la comédie noire The Nice Guys en 2016. L’acteur oscarisé pour son rôle dans Gladiateur y incarne un homme qui disjoncte complètement lorsqu’une femme (Caren Pistorius) le klaxonne à un feu vert et refuse de s’excuser, la pourchassant elle et les siens pour se venger. Prometteur, non? Et bien, non, malheureusement.

L’ouverture inquiétante par son silence pesant et son générique martelant des statistiques accablantes liées au stress de la vie moderne donnent lieu de penser qu’on aura droit à un thriller à la fois dramatique et haletant qui relatera franchement les fondements et les impacts de la rage au volant. Les actes de violence extrême causés par des situations d’apparence anodine font de plus en plus légion dans l’actualité et méritent qu’on s’y attarde sérieusement, mais le réalisateur Derrick Borte (La Famille Jones) et le scénariste Carl Ellsworth (Vol sous haute pression) ne s’en servent que comme subterfuge pour mieux sournoisement déployer un film de série B aux scènes d’action sanglantes et invraisemblables. 

Certes, il est légitime qu’un film de cette trempe veuille attirer les cinéphiles avec quelques rebondissements spectaculaires, mais il est impossible ici de faire abstraction aux failles narratives et se soumettre à la moindre introspection quant aux thématiques abordées. Les dénouements se vautrent dans des clichés pitoyables et se noient dans la facilité alors que tout était en place pour que le film se distingue et redonne ses lettres de noblesse au genre auquel il appartient. 

Le premier acte s’avère anxiogène mais cette atmosphère tendue, troublante et étouffante se dissipe au détriment de crimes gratuits se produisant trop rapidement et à l’intérieur d’un contexte si peu expliqué que le tout vire au ridicule et fait rire au lieu de choquer. On est déçu de constater que le film se contente de remâcher les mêmes vieilles idées sur les personnages dits fous au lieu de leur ajouter du sang neuf et plus nuancé. Ceci dit, Enragé exploite plutôt bien comment il est trop aisé d’avoir accès à des informations hautement personnelles sur cellulaire sans la moindre trace de sécurité alors que c’est censé être l’une des principales forces de cette technologie. C’est définitivement l’élément le plus perturbant et (positivement) mémorable du film.

Dans le rôle de la pauvre victime, Caren Pistorius possède suffisamment de magnétisme et de vérité pour maintenir l’intérêt des spectateurs face à son sort. De son côté, Russell Crowe , avec sa carrure imposante et ses regards menaçants a définitivement le physique de l’emploi. Or, le scénario ne propose pas assez de complexité pour permettre à l’acteur d’offrir une performance équilibrée. Il ne fait que grogner comme Hulk après une mauvaise journée avec Les Avengers. Sa performance souffre atrocement de la composition au premier degré de son personnage. Au-delà du stress psychologique et du gavage de médicaments qui ne règle rien, il aurait fallu en savoir plus sur l’homme, sur ses expériences passés, afin qu’il ne nous apparaisse pas seulement cinglé et taré , ou du moins que ces traits soient mieux explicités pour qu’on en tire davantage nos propres conclusions. 

Nul doute que le film suscitera de l’engouement avec sa bande-annonce dynamique promettant d’offrir un divertissement à la fois stressant et accessible, mais il y a quand même des limites à insulter l’intelligence des spectateurs qui, même devant un film considéré léger, voient dans le cinéma une manière de mieux comprendre notre monde…

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