D’abord diffusée dans l’Extra de TOU.TV avant d’atterrir en hiver 2021 dans la grille horaire régulière de Radio-Canada, la mini-série de six épisodes Après de François Pagé a sans aucun doute été une série coup de cœur de la critique et des téléspectateurs. Malgré qu’elle véhicule les répercussions d’un attentat dans une épicerie du village fictif de Lac Sabin ayant fait plusieurs morts , Après aborde avec sensibilité les thématiques de la rédemption, du courage, de l’espoir, de la résilience et même de la compassion. Nous avons effectué une entrevue téléphonique avec la comédienne Karine Vanasse qui tient le rôle principal de Maryse, une mère monoparentale d’un enfant trisomique qui est la gérante de l’épicerie où a eu lieu le tragique événement.
Même si on voit des images de la tuerie dans les premiers épisodes, la série mise vraiment sur comment une petite population réagit après le drame. Est-ce que l’expérience que tu as vécue pendant et après le tournage de Polytechnique t’as aidé à, pour ce projet-ci, travailler encore plus profondément les répercussions psychologiques d’un tel drame ?
Honnêtement, à part pour le mot fusillade , je n’ai jamais fait de parallèles entre les deux projets. Pour moi, ce sont complètement deux approches complètement différentes. Dans Polytechnique , il y avait aussi toutes les références sociales historiques liées aux Québécois. Dans Après, comme tu mentionnais, on ne voit pas que la tuerie et le contexte, ça aurait donc pu être un autre drame qu’une fusillade. Ce qui était particulier avec Après, c’est que ça se passe dans une petite communauté et que le geste est commis par quelqu’un qui est connu de la communauté et que les proches de cette personne restent après. La série se demande comment on se regarde les uns et les autres sans porter l’incompréhension et la colère liées à ce geste-là et sans transférer ça sur les gens qui sont très près cette personne-là.
Quelles leçons de vie as-tu apprises sur ce plateau ?
Quand on parle de résiliation, c’est difficile de vivre la résilience pis de la voir prendre forme pendant qu’on est dedans en train de survivre. De se dire qu’on veut être résilient, des fois, c’est bien abstrait, mais, au fond, c’est un peu de se rappeler la fameuse expression : voir la lumière au bout du tunnel. C’est vrai que ça aide de se dire que c’est possible d’avancer, qu’il ne faut pas se décourager. Tu choisis de pas juste être envahi par la colère, que oui ça peut faire partie des étapes et que c’est correct que ça fasse partie des étapes et que c’est correct que tu marches dans une période sombre pendant un long moment, mais qu’éventuellement ça va pouvoir se transformer en autre chose. Il faut garder ça en tête et se rappeler que c’est vrai que ça peut aller vers ça.
Souvent, essayer soi-même de survivre peut avoir un impact sur d’autres et aussi dans la communauté. Faire ça seule, c’est presque impossible, mais que quand tu peux compter sur les gens autour de toi, que t’as une communauté immédiate, ta famille, tes amis ou, dans ce cas-ci, un village , on a plus de chance de s’en sortir malgré les façons différentes qu’on a de gérer cet après-là. On n’a pas tous les mêmes mécanismes de défense, on n’est pas tous à la même place dans nos vies même si on a vécu un évènement similaire. On apprend la compassion pour ceux qui n’ont pas les mêmes réactions que nous pis on apprend à se parler. Quand les policiers et le réalisateur disent que c’est une série qui demeure lumineuse malgré la prémisse de départ, c’est vrai que l’objectif ultime c’est ça, c’est de montrer, qu’à la fin, ça se transforme en autre chose. Ça fait en sorte que, quand on le vit, il ne faut pas nommer ce qui est moins difficile à nommer, au contraire, c’est en se confiant qu’on finit par arriver à autre chose. C’est ce que je trouvais beau de cette série-là.
Quand on dit parler, ce n’est pas juste nommer en mots, mais juste d’être attentif à l’autre, de prendre une marche et de ne rien dire. Des fois, c’est le silence qui est la meilleure façon d’accompagner l’autre. Les besoins changent aussi. Il ne faut pas penser qu’il faut s’asseoir en cercle, se parler et se regarder dans le blanc des yeux. Ce sont des petits gestes de bonté les uns envers les autres qui vont prouver que t’es vraiment là pour elle ou pour lui.
Humainement, je pense qu’on a les clés pour être capable de passer aux travers de ces moments-là, et c’est tant mieux. Dans le village, ils ont l’aide du personnage de David Boutin qui essaie de les aider à travers tout ça, mais je pense sincèrement qu’humainement on les a ces ressources-là. Même si on n’est pas psychologue, on peut aller chercher cette aide , mais il faut se rappeler que ces outils-là sont à l’intérieur de nous. Collectivement, il y a des gros pas qu’on peut faire quand on s’entend.
Les parallèles avec l’actualité sont incontournables, même si l’après est moins montré dans les médias…
Effectivement, les parallèles sont faciles à faire. La population se réveille par rapport à certaines injustices quand il y a une histoire qui touche en particulier pendant une période. Après ça, autant les journalistes que la plupart de la population, on passe à autre chose tandis que ces gens-là restent pris là-dedans avec leurs difficultés. Fait que, effectivement, dans notre façon de traiter de l’après et faire un suivi, le suivi n’est pas très présent, mais ce n’est pas juste de la part des médias même aussi à plus petite échelle. On va être présent de façon intense quand on sait qu’un proche vit quelque chose de difficile, mais, souvent, l’après nécessite une attention et un suivi qu’on oublie d’offrir des fois.
Ton personnage de Maryse est mystérieux et en contrôle de ses émotions. Comment as-tu travaillé son intériorité pour ne pas flancher lors des scènes où les autres acteurs pleurent et crient autour de toi?
Dans sa façon d’être, il y a quand même une maîtrise d’elle-même et de ses émotions, car elle a une enfant qui est atteint de trisomie , mais ça ne veut pas dire que ça ne la rattrape pas par après. Je pense que c’est ça qu’on voit aussi dans la série. Je pense aussi qu’on peut avoir une perception d’elle qui fausse un peu à un moment donné par rapport à ça. Tu vois des gens réagir avec tellement de sang froid dans certaines situations que tu te dis que eux autres, on peut leur garocher n’importe quoi, ils vont être capable de gérer. Mais après, quand ils sont tous seuls, ça ne veut pas dire que ça ne les rattrape pas et que ça ne les rattrapera jamais.
Malheureusement, avec ces types de personnages, on est surpris et on ne comprend pas pourquoi ils ne vont pas bien. Dans le cas de Maryse, on se dit qu’elle a toujours été forte, qu’elle a toujours été solide. Ouais, mais on ne peut pas toujours être forte 24 heures sur 24 chaque semaine. On est qui on est, mais, des fois, on sent qu’on a des réactions qui viennent aussi des réactions des autres. C’est sûr que quand il y a plein de personnes qui sont en train de paniquer, il y en a un de la gang qui va se dire que c’est pas ce chemin-là qu’il va prendre sinon on ne s’en sortira pas, et je pense que c’est un peu ça, Maryse.
Comment as-tu travaillé la dynamique mère/fille avec Camille Vincent qui interprète Danahée?
Camille était accompagnée. Elle a vraiment fait un super travail avec sa coach en jeu, Félixe Ross, qui a l’habitude de diriger les enfants sur les plateaux. Camille était disponible aux scènes. Ça a été bien impressionnant pour tout le monde de la voir travailler. La dynamique naissait des scènes elles-mêmes. Il y avait une notion de jeu qu’on voulait installer. Maryse veut quand même protéger sa fille de toute cette réalité-là, mais sa fille voit à travers de ça et la ramène à des questions qu’elle-même se pose. Quand le personnage de Maryse va voir Danahée et qu’elle demande pourquoi le monde est méchant, Maryse n’a pas de réponse à lui donner parce qu’elle se pose la même question. Le personnage de Danahée amène beaucoup dans la série.
Est-ce que tu considères que le paysage d’hiver froid et triste et un personnage en soi dans la série et qui permet de mieux comprendre la détresse collective?
Ce que je voyais de l’hiver, ce n’était pas nécessairement quelque chose de plus triste. Ça dépend de notre propre perception de l’hiver (rires), mais c’est sur qu’il y a un aspect dur. En fait, le réalisateur Louis Choquette nous disait récemment que, quand il pensait à la série et au personnage de Maryse, il avait l’impression qu’elle incarnait l’image de la femme québécoise qui passe justement à travers des hivers et de je ne sais pas combien de grossesses. Je pense que l’image du froid de l’hiver signifie quelque chose par laquelle tu passes au travers. Je pense que ça fait une différence la saison dans laquelle on tourne. Faire cette série là l’été, ça ne serait pas pareil du tout. Quand tu sors de l’épicerie et que la plupart des gens sont en t-shirt dans le froid, il y a une urgence qui est là et qui ne serait pas là autrement, fait que je suis contente qu’on ait tourné ça à l’hiver, car, effectivement, c’est un personnage en soi qui vient mettre un climat qui représente très bien ce que les gens vivent à ce moment-là.
Tu as également joué dans la série Cardinal qui se passe aussi en région. En quoi le fait de tourner en région peut changer ta manière de préparer et d’interpréter un rôle?
Non, pas tant, mais je pense que ça vient influencer l’écriture, les costumes et les cheveux. Ça vient influencer beaucoup par rapport à l’image. Comme là, pour le cas d’Après, le fait que ça vient se passer dans une petite communauté où les gens se côtoient et se connaissent, ça vient même influencer au niveau de la réalisation et des déplacements d’une maison à l’autre. C’est plus crédible que les personnages se déplacent à pied par exemple, fait que c’est sûr que ça influence certaines décisions pour faire de la mise en scène et tout ça. Dans ma préparation à moi, c’est beaucoup par rapport au choix de vêtements et de a coiffure. Pour le personnage de Maryse, on s’était dit c’est le genre de fille que, quand elle est tombée enceinte, elle avait les cheveux d’une telle couleur et qu’elle les faisait teindre de cette façon-là , un peu pour garder son énergie d’adolescente. Donc, dans la série, mes cheveux sont plus orangés que d’autre chose! Est-ce que j’aurai fait ce choix de couleur pour Maryse si l’histoire se déroulait à Montréal? Je ne sais pas. Je pense que c’est parce que sa vie m’inspirait ce choix à ce moment-là.
Tu as déjà dit que, au-delà d’un rôle, tu attribues maintenant plus d’importance à l’équipe qui t’entoure. Qu’est-ce que ça prend à une équipe pour te stimuler et te faire évoluer comme comédienne?
Des gens qui ont envie de travailler, qui sont motivés par des intentions qui rejoignent les miennes, c’est-à-dire raconter une histoire qui va toucher les gens, qui va émouvoir, qui va provoquer quelque chose que je juge comme positif même si , oui, ça va divertir. Une équipe qui aime travailler dans le respect de l’autre, qui aime travailler dans la reconnaissance de l’importance du rôle de chacun. Ça, pour moi, c’est important. Tout comme travailler dans la précision peu importe les conditions, même quand il faut travailler vite. Pour avoir travaillé avec lui à 14, 15, 16 ans, le souvenir que j’ai de lui, c’est que c’est un réalisateur qui m’avait bien marqué dans sa façon de travailler dans le calme, il n’y a pas d’égo qui est dans la place, on veut le meilleur résultat possible peu importe c’est qui qui a l’idée. Je me souvenais de la direction qui donnait et de sentir qu’il faisait confiance à mon instinct de comédienne, qu’il n’était pas juste là pour m’imposer sa façon à lui de voir. Pour moi, un bon réalisateur ou une bonne réalisatrice, c’est créer un climat où les gens sentent qu’on leur fait confiance.
Tu fais partie de la distribution du film Arsenault et fils de Rafaël Ouellet. Comment se déroulent les tournages jusqu’à maintenant?
Vraiment bien! On est allé en Virginie. J’avais travaillé avec Rafaël Ouellet sur la troisième saison de Blue Moon, mais vraiment brièvement. J’aime beaucoup son cinéma. Je suis vraiment contente qu’il revienne au cinéma. Je crois beaucoup en son cinéma. Je pense vraiment qu’il a des histoires fortes à raconter, qu’il une façon unique de raconter ces histoires-là. Arsenault et fils, c’est une histoire qu’il travaille depuis plus de dix ans, c’est son scénario. Tout le monde se trouve très choyé d’avoir été choisi par lui pour jouer ces personnes-là. Je joue entre autres avec Luc Picard, Guillaume Cyr et Micheline Lanctôt. On est vraiment une super belle distribution, et Rafaël est vraiment beau à voir aller sur le plateau.
Quels sont les défis qui sont rattachés à ton rôle?
C’est une fille qui se retrouve un peu à jouer sur la communauté. Il y en a beaucoup qui se demandent qui elle est, ce qu’elle fait là, ce qu’elle cherche… Elle est sur une fine ligne. Je ne peux pas dire grand-chose dans le fond, mais j’ai de superbes belles scènes à jouer. Je suis vraiment contente de découvrir le travail aux cotés de Guillaume Cyr, c’est un acteur avec lequel je n’avais pas eu la chance de travailler encore. On a vraiment des belles scènes à partager. Le milieu du braconnage, c’est un univers aussi qui a rarement été vu au cinéma et qui est un peu flou pour bien du monde au Québec. À quel point c’est présent? Comment ça marche les gardes-chasses? C’est un bel univers à explorer.
Quand tu fais partie d’une distribution et que ne t’es pas un des personnages principaux, mais que t’es un des personnages qui fait partie du portrait général, c’st stimulant de savoir que c’est un univers qui va être intéressant pour le public à découvrir. C’est vraiment bien ficelé, le style de la direction photo est superbe, les qualités cinématographiques vont être grandes, ça je le sais, donc c’est vraiment plus d’être attachée au projet global que juste penser à mon personnage. Je te dirai que le focus est plus sur l’ensemble.
Tu fais beaucoup de doublage. Tu as d’ailleurs prêté ta voix pour le film d’animation québécois Félix et le trésor de Morgäa et tu as également fait la narration du roman Captive de Margaret Atwood sur Audible. Quelles sont les principales différences entre doubler un film et faire la narration d’un roman?
C’est sûr que pour le doublage de Félix et le trésor de Morgäa, c’était nouveau parce que comme c’était un projet qui était fait ici au Québec, la voix est en partie enregistrée quand le projet est en train de se développer, en train d’être dessiné souvent. Quand ce sont des séries ou des projets qui arrivent de l’extérieur comme les États-Unis, le projet est déjà terminé, mais là on participe au processus pendant qu’il est en train de se créer, donc c’est vraiment l’fun de partager ça. Je faisais le film en français et en anglais. Des films d’animation, on en fait quand même peu au Québec, mais 10e avenue est une compagnie qui se spécialise vraiment dans le cinéma d’animation, une compagnie de Québec. Je trouvais ça bien de faire partie de l’un de leurs projets. Je trouve que c’est un défi en soi de choisir de mettre juste l’accent là-dessus, mais ils ont réussi à bien prendre leur place dans le marché à travers les années et à travers les projets aussi.
C’est sûr que j’ai fait pas mal de doublage, des voix pour des publicités et des choses comme ça, mais la narration, c’était la première fois que je faisais ça. En général, tu t’en vas en studio et tu es au moins avec un technicien, mais là, il y a une partie que je faisais seule dans mon garde-robe pendant que mon fils dormait le soir, en contexte de pandémie là! Je suis consciente que les livres audio et les podcasts, c’est vraiment un médium à la voix qui est bien puissant et qui je sais en accompagne de plus en plus de gens aussi.
En faisant la narration de Captive à voix haute, avais-tu l’impression de découvrir le roman sous un autre angle?
Ça, c’est certain! Il y a des phrases qui résonnent plus, des mots qui résonnent plus quand tu les dis à voix haute. C’est un livre aussi qui a une charge quand même assez importante. C’est l’injustice d’une femme de cette époque-là qui peut même pas se défendre et dont la voix féminine ne porte pas vraiment de valeur dans la justice et à qui on n’accorde pas vraiment de valeur parce qu’on ne peut croire ce qu’elle dit alors qu’elle est une analyse psychologique. Les psychologues viennent corroborer ce qu’elle dit. C’est vraiment frustrant à bien des moments, parce que en sachant que Margaret Atwood s’inspirait de ce fait vécu pour raconter une histoire, qui est beaucoup une histoire de la femme moderne d’il n’y a pas très longtemps. Au vingtième siècle, le témoignage d’une femme devant la justice ne vaut pas autant que celui d’un homme. On oublie tout ça , mais c’est quand même il n’y a pas très longtemps, donc c’est vraiment intéressant de plonger là-dedans.
Lors de ton premier passage à l’émission La Tour, tu as dit que tu as parfois du mal à réaliser que ton métier peut aider les gens, parfois même les sauver. Deviens-tu de plus en plus en paix avec et engouement du public après chaque projet?
À ce moment-là, ce que je disais, c’est que ça m’était arrivée dans le passé de peut être ne pas donner autant de valeur à ce métier en me disant que ça demeure juste des histoires qu’on raconte, mais ce qui n’est pas ressorti dans le montage de l’émission, c’est que je sais l’impact que ça peut avoir, surtout avec la pandémie. Je le sais moi-même pour le vivre comme consommatrice quand j’ai le besoin d’évacuer certaines choses, tu peux tu le faire à travers une histoire, un personnage. Je suis allée au théâtre récemment voir la pièce Le vrai monde?, et il y a des choses qui faisaient du bien d’entendre. C’est vrai que même pendant la pandémie le pouvoir de l’art pour exprimer quelque chose s’est révélé comme jamais. L’art a une façon de nous permettre d’extérioriser des émotions, des sentiments pis de nous permettre de ramener ça dans l’ordre du collectif. Fait que c’est sûr que c’est puissant et ça a un impact que je l’oublierai probablement plus jamais.