Mon héro Oussama: beaucoup de bruit pour rien

Le premier constat que l’on fait suivant cette pièce, c’est que le titre, d’une évidente provocation, ne représente pas le véritable objet de l’œuvre. Si le jeune Gary, en quête d’un héro sur lequel s’appuyer pour forger sa personnalité, s’identifie finalement à ce Oussama, c’est davantage par dépit d’avoir trouvé ailleurs que par conviction islamique ou dédain de l’occident. Et l’auteur passe très rapidement sur ce point, qui ne sert finalement que de prétexte pour ce qui suivra…

Deux couples de personnages, voisins de Gary, sont mis en scène. D’un côté, Francis et Louise, un frère et une sœur assez morbides et enragés, prennent appui dans leurs convictions de justiciers du dimanche sur les actes barbares de leur père qui s’est retrouvé en prison pour avoir battu un pédophile des années plus tôt, voulant « protéger ses enfants ». De l’autre côté, un homme d’un certain âge, Mark, dont la femme a été blessée ou tuée dans l’explosion de son garage, s’est pris de passion pour Manu, une jeune adolescente. Chacun pour leur raison propre, ce quatuor d’individus se retrouve en face de Gary, l’arme au poing, que l’on juge et condamne sans procès pour les actes récemment commis dans le voisinage dont l’explosion du garage de Mark. C’est la loi du Talion: œil pour œil dans pour dent.

Dépeignant le portrait d’une société paranoïaque, l’auteur, Dennis Kelly, éclabousse tout et déborde de son canevas. Son texte, chaotique et verbal à l’extrême, pose les grands thèmes de la paranoïa dans une grande turbulence et un fracas tonitruant. D’abord, celui d’une menace volatile, multiforme, qui se déplace vers différents objets en fonction des besoins du moment. Jetant leur dévolu sur la nouvelle menace que représente le terrorisme, Francis et Louise , qui glorifient leur père de ses actes contre la menace du pédophile, sont maintenant prêt à s’allier à Mark, lui-même pédophile, dans leur quête de justice. Ensuite, l’attaque comme mode de défense ou la justification de la vengeance. Se sentant piégés, assurés d’être parmi les prochaines victimes de ce « terroriste » de quartier, les protagonistes préfèrent attaquer avant d’être attaqués. Ce faisant, ce sont eux qui se transforment en réels tortionnaires, instigateurs d’une violence qui n’est justifiée que par la peur.

Dans la continuité du texte, la mise en scène se veut assez crue et franche, sans détour. Les acteurs s’emparent de la scène de façon assez brutale. Dans une rapidité étourdissante, on attaque les premières répliques avec une rage telle qu’il est plutôt difficile de s’y lier puisqu’elles ne présentent aucune montée dramatique et offrent peu de place à la nuance. Les propos ne réussissent à prendre réellement sens que dans la bouche de Gary, adroitement interprété par Gabriel Szabo qui rend son personnage sympathique. Reynald Robinson l’avait d’ailleurs choisi entre autre pour cette capacité. Dans tout le brouhaha, entre les cris et le chaos, agressés que nous sommes dans cette minuscule salle du Théâtre Prospero, notre regard est attiré vers la lumière de ce jeune homme qui nous raconte sa sensation d’étrangeté dans ce monde et ses tentatives, désespérées, d’adopter le point de vue de l’autre. Il va même jusqu’à comprendre comment on peut aimer un homme comme Oussama Ben Laden.

Ces tentatives de comprendre le point de vue de l’autre ne lui sont cependant pas rendues. Les autres personnages condamnent Gary de façon si instinctive et abrupte qu’ils se coupent de toutes possibilités de dialogue. On ne cherche pas à le comprendre, convaincu d’avance de sa culpabilité. Gary est épié par les « fenêtres qui s’allument une après l’autre » alors que des poubelles viennent d’exploser juste devant lui. Déjà, il sait l’inquisition qui se prépare derrière ces fenêtres. Mais Gary, qui se plaint d’une certaine manière de l’incompréhension qu’on ressent face à lui, ne fait rien pour aider les autres à mieux le comprendre: il adopte des points de vue radicaux et choquants qui mettent les autres d’emblée dans une position défensive face à lui.

À l’instar de son personnage, Dennis Kelly risque aussi de se buter à des réactions défensives en voulant choquer à tout prix. Déconstruisant les procédés théâtraux, élaborant un texte un peu bordélique, utilisant une violence assez crue, l’auteur raconte finalement l’histoire d’un jeune homme qui ne peut pas être réellement vu et entendu à cause de la paranoïa du monde qui l’entoure. Voilà donc le drame dans toute l’affaire.

Mais encore faut-il être capable d’écouter, écouter attentivement, derrière toutes ces agressions que l’on subit comme spectateurs pendant cette pièce, le petit écho de fond qui relate ces souffrances, cette humanité. Finalement, derrière tout ce bruit… on la décerne cette souffrance. Mais, n’est-ce pas beaucoup de bruit pour rien?

Crédits Photos : Cannelle Wiechert