Pour une histoire d’un soir : lumineuse et légèrement délinquante

Depuis plusieurs années, on est à même de constater que la nostalgie touche une corde sensible chez le public et que ces grands retours d’artistes qui nous ont fait vibrer jadis sont loin d’avoir comme unique but l’appât du gain. Avec le spectacle Pour une histoire d’un soir,  Joe Bocan, Marie Carmen et Marie-Denise Pelletier profitent de leurs hits pour, oui, attirer leurs fans de la première heure, mais pour mieux leur proposer des relectures modernes agrémentées de nouvelles significations. Lors de la première médiatique présenté hier soir à la Cinquième Salle de la Place des Arts à guichet fermés, elles ont prouvé la pertinence de leur union à travers des partages originaux et des prouesses vocales à donner le frisson!

Affirmé et assumé, le trio de feu a tôt fait d’imposer sa chimie aussi tendre qu’explosive ainsi que sa grande expérience de la scène. Le public, d’abord intrigué face à ce savoureux concept concocté par Martin Leclerc, s’est laissé bercer devant l’aisance et la passion des interprètes sans s’ennuyer une seconde. Après un accueil des plus chaleureux, elles ont débuté en douceur avec la pièce inédite Les voyages écrite par Joe Bocan. Cette jolie pièce truffée de clins d’oeil à leurs méga succès respectifs a été suivie d’un medley de titres plutôt connus entonnés avec ravissement par l’audience. Cette solide entrée en matière signifiait efficacement que le metteur en scène Michel Poirier ne s’est pas contenté de performances grandioses offertes machinalement à tour de rôle.

Duos, solos, ballades, chansons plus entrainantes, transitions amusante et originales, défilé de tenues somptueuses…Pour une histoire d’un soir regorge de variété à tous les niveaux. L’énergie folle de la Cinquième Salle , qui vibrait à plusieurs moments aussi fort, sinon plus, qu’à un spectacle de Justin Bieber au Centre Bell , a donné lieu à une première magique qui a réussi à ébranler les principales intéressées, infiniment reconnaissantes que les spectateurs se soient ennuyés d’elles à ce point.

Sans l’empêcher de produire une prestation sans faille, Marie-Denise Pelletier a accueilli avec émotion les refrains cités sans la moindre hésitation sur Inventer la terre dont l’urgence d’agir résonne encore plus gravement aujourd’hui que lors de sa création en 1993.

Joe Bocan a fait honneur à sa nature théâtrale avec ses déplacements vifs et sa gestuelle gracieuse. On a particulièrement senti son intensité sur le texte Finir ça là qui, avec des lignes comme  »Ça serait niaiseux », avait l’air de sortir tout droit d’une pièce de Michel Tremblay ou d’une pièce méconnue interprétée par Sandra Dorion du groupe Nuance. Le poignant plaidoyer environnemental Apocalypso ainsi que la troublante Les femmes voilées, dotée d’un percutant solo musical, ont permis à l’artiste de renouer intensément et créativement avec ses convictions engagées devant un public plus que comblé.

Effectuant un retour si espéré, Marie Carmen a eu droit à des éloges remarquables et authentiques. La chanteuse les a rendus magnifiquement en étant tout en voix, sensuelle, entière et incandescente. Ces retrouvailles engageantes étaient spécialement foudroyantes sur J’ai l’blues de vous et L’Aigle noir, la première ovation de la soirée.

Le premier tour de chant solo à coup de trois ou quatre morceaux a été entrecoupé d’un séduisant instant de partage au cours duquel les trois artistes se permettaient échanges et fantasmes professionnels. Marie Carmen et Marie-Denise Pelletier, respectivement Marie-Jeanne et Stella Spotlight dans Starmania, ont offert en duo des trésors cachés de cette mythique oeuvre musicale, Le retour de Stella Spotlight et Petite musique terrienne. Un moment doux et percutant qui a atteint son paroxysme lorsque Joe Bocan, qui n’a jamais chanté du Plamondon, s’est attaqué à J’ai 12 ans, qui a eu comme résultat la deuxième ovation de la soirée. Je suis un homme de Zazie livrée en trio ne manquait pas non plus de férocité et de vérité.

Lors de son deuxième tour du chant individuel, Joe Bocan , après avoir fait quelque peu languir le public, a fait preuve d’un abandon hors du commun sur Repartir à zéro et Nous valserons sur lesquels, vêtue d’une robe de mariée déjantée, elle s’est adonnée à des chorégraphies libératrices. Munie de son micro de roses, Marie Carmen a livré avec sensibilité et fierté l’intemporelle Entre l’ombre et la lumière, une ode à la force de l’estime de soi encore nécessaire aujourd’hui. Question d’ébahir encore plus qu’elle ne le fait déjà avec cette reprise de Daniel Balavoine, Marie-Denise Pelletier a, quant à elle, chanté le premier refrain de Tous les cris les S.O.S a capella avec une puissance vocale saisissante qui a forcé l’admiration. Elle donnait tellement l’impression de chanter cette chanson culte pour la toute première fois que le public n’a pu résister à lui offrir une chaleureuse ovation pendant la chanson! Agréablement déstabilisée par cette marque d’amour indélébile, la chanteuse n’a pu retenir ses larmes et a laissé paraître une touchante vulnérabilité.

En conclusion, le titre du spectacle qui, comme plusieurs pièces présentées, revête maintenant un caractère plus rassembleur et mature. L’histoire coquine et mélancolique de Pour une histoire d’un soir ne se répète plus de soir en soir ; elle évolue, ne s’excuse plus de vivre, s’assume et crée du bonheur, à l’image de ces trois grandes femmes plus inspirantes que jamais.

Crédits Photos : Isabelle Hamel-Blouin, Éklectik Média