La blessure : envoyer paître le poids du monde

En pause jusqu’au 2 avril à cause d’une éclosion de COVID-19 au sein de la production, la pièce La blessure de la dramaturge Gabrielle Lessard a heureusement eu droit à une première médiatique et à quelques représentations à l’Espace Libre la semaine dernière. Ce qui nous permet donc de vous convaincre de vous procurer des billets pour les représentations restantes, car la pièce fait autant mal qu’elle fait du bien.

Mal, car la blessure est collective. Celle du monde qui s’écroule où toutes les opinions et valeurs se valent et dévalent. Bien, car la guérison, bien que laborieuse, de la blessure donne droit à des répliques assassines et incisives dont certaines pourraient être reléguées au rang de culte.

La blessure

Cette blessure, c’est le diagnostic que reçoit Anne (Catherine Bouliane) : un cancer du sein. Bien que les médecins sont plutôt optimistes en ce qui concerne ses chances de guérison, Anne refuse de suivre les traitements. Son éco-anxiété ne tolère pas qu’elle s’injecte autant de chimique dans le corps. Évidemment, c’est la consternation chez son entourage, à commencer par sa blonde Josiane (Eve Duranceau) qui a de la difficulté à gérer la situation de manière saine pour leur fille Mimi qui est victime collatérale de toutes les convictions contradictoires des femmes qui entourent sa jeune existence. C’est alors que, face au poids du monde de plus en plus insoutenable chaque seconde,  les secrets et la retenue éclatent.

Ça crie fort dans La blessure. Ça sacre, ça se déchire, ça dérape, ça joue exagérément et volontairement gros. Et ça fonctionne à plein régime même si le rythme effréné et la quantité gargantuesque d’informations et de révélations dans les dialogues épuisent à certains moments. C’est pourquoi la courte durée de la pièce, approximativement 80 minutes, sert adéquatement les réflexions que la pièce tend à exposer. Il n’y a rien de consensuel dans La blessure. Aucun des personnages n’a complètement tort ni complètement raison. Comme dans la  »vraie » vie. C’est aux spectateurs de sélectionner ce qui le rejoint et ce qui le confronte dans une galerie de personnages féminins forts, imparfaits et stéréotypés pour mieux comprendre leurs agissements.

La blessure

Autrement dit, La blessure déborde des lignes. Le coloriage dépasse sans donner de réponses sur tous les doutes qui assaillent chaque être humain. Est-ce que la peur de mourir peut justifier le fait de passer par-dessus nos convictions les plus profondes? Est-ce que les gens pro-environnement peuvent être aussi extrêmes et parfois dangereux que les gens qui s’en foutent éperdument? Est-ce que l’obsession ou la haine face au système capitaliste cache une terrible peur de l’inconnu? Est-ce qu’il est possible de juste vivre sans se soucier quotidiennement de toutes les imperfections?

Aux premiers abords, on peut s’imaginer que La blessure sera un drame délicat et poignant. Gabrielle Lessard nous entraîne totalement ailleurs au niveau du texte et de la mise en scène. On a plutôt droit à une satire flirtant avec la tragédie grecque où les couteaux volent bas et que le vitriol se déchaîne, déclenchant des réactions étonnantes et des éclats de rire aussi francs que jaunes.

La blessure

Des fauteuils blanc crème trônent sur la scène, et ce décor épuré frappe la cible. Les actrices qui y évoluent font un travail admirable. Impossible de passer sous silence l’apparition de Monique Spaziani qui s’en donne à cœur joie dans la peau d’une mère gâteau qui a de la difficulté à aller de l’avant et à avouer ses failles. Ses crises de colère et sa naïveté sont tout simplement délicieuses. Le timing des actrices force l’admiration. Leur manière chirurgicale de livrer les répliques fait toute la différence.

La blessure sera à l’affiche de l’Espace Libre du 2 au 9 avril. Il est encore possible de se procurer des billets ICI.

Crédits Photos : Sylvie-Ann Paré