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Les sorcières de Salem : une version ensorcelante

Écrite en 1962, la pièce d’Arthur Miller cherchait à faire une critique pamphlétaire du maccarthysme américain dont ont été victime les partisans du communisme aux États-Unis en pleine guerre froide. L’auteur a donc prêté la figure des sorcières de Salem à cette métaphore qu’il utilise pour témoigner de l’époque de paranoïa dans laquelle il se trouvait. L’histoire est celle de jeunes filles, menées par Abigail Williams, qui, après s’être fait chasser par la femme de son amant qui a découvert leur liaison secrète, se livre à la sorcellerie dans les bois. Pointée par le doigt accusateur des puritains de la petite ville de Salem en 1692 comme une sorcière et menacée d’être exécutée, Abigail tourne ces accusations vers d’autres personnes du village, notamment Mme Proctor, la femme de son ancien amant dont elle veut se venger. Après un jeu d’accusations interposées, M. Proctor lui-même finit par se retrouver menacé d’exécution par le tribunal.

Au centre de l’histoire se trouve donc une situation d’adultère qui engendre des désirs de vengeance et de fausses accusations portées par un groupe de femme ayant comme victime un homme… Comment un tel texte pouvait-il être porté sur scène dans notre époque actuelle? Comment ne pas y déceler un malaise général face au mouvement de libération des femmes?

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L’intéressante adaptation par Sarah Berthiaume au texte et part Édith Patenaude à la mise en scène dépoussière le classique américain de Miller en transformant le texte qui traite d’un abus de dénonciation en la dénonciation d’un abus. On reconnait dans leur processus d’adaptation une tentative de montrer une véritable ‘’guerre des sexes’’. Ce que l’on comprend des intentions communes de l’autrice et de la metteuse en scène, c’est d’exposer la violence faite aux femmes qui tentent de s’émanciper dans leur sexualité alors vivement condamnée par un système religieux et juridique répressif. Le groupe de femmes accusées livre une vibrante bataille au système juridique oppressant mené par un patriarcat puritain et écrasant qui interdit leur émancipation. ‘’Couvrez ce sein que je ne saurais voir’’, disait Tartuffe à Dorine, lui faisant porter la disgrâce de s’être montrée séduisante. Voilà le message pervers auquel cette mouture des Sorcières de Salem tente de s’attaquer.

L’actualité des propos du texte contraste avec le choix de costumes qui reflète le taffetas de l’époque. Une scène relativement dépouillée permet à la brochette d’acteurs de combler l’espace en déployant leur talent. Emmanuelle Lussier-Martinez, qui prête ses traits à Abigail Williams, mène ses troupes avec une ardeur convaincante. Évelyne Gélinas en Mme Proctor contraste avec son angélisme et sa sagesse touchante alors que Étienne Pilon est juste et pertinent dans son jeu dans le rôle de M. Proctor. Une pulsation sonore rythmique accompagne l’avancée de la pièce de manière soutenue prenant plus ou moins d’amplitude selon le paroxysme du moment. En plus des éclairages tamisés et des choix de couleurs sombres et ternes, Édith Patenaude réussit à créer une ambiance scénique oppressante qui contextualise bien le climat puritain qui cherchait à étouffer toute émergence pulsionnelle.

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Édith Patenaude et Sarah Berthiaume ont donc porté sur scène avec une équipe bien préparée une version ensorcelante de ce classique, en passant le balais sur un texte qui méritait une petite mise à jour au vu du machisme latent dont elle était teintée. Les Sorcières de Salem vaut la peine d’aller voir, ne serait-ce que pour la finale qui, sans trop en dire, se fait réparatrice de plusieurs maux et remet à qui de droit la responsabilité des choses.

Crédits Photos : Gunther Gamper