Des histoires réelles d’héros ordinaires qui redéfinissent notre perspective sur l’humanité et la persévérance, ça a toujours eu la côte dans notre culture populaire. Le Théâtre du Rideau Vert explore actuellement ce filon de manière élégante mais conventionnelle avec la pièce L’Homme Éléphant de Bernard Pomerance, dramaturge américain décédé à l’été 2017. Ce que les spectateurs retiendront le plus de cette relecture est sans contredit la performance exceptionnelle de Benoît McGinnis, qui signe un autre rôle percutant sur les planches près d’un an après le succès public et fulgurant de Caligula présentée au TNM.
Traduite par l’acteur et metteur en scène Jean Leclerc, L’Homme éléphant se nomme ainsi afin de décrire la condition physique de son principal sujet, Joseph John Merrick (Benoît McGinnis), un jeune homme brillant affligé d’une effroyable difformité inexplicable et nauséabonde, maladie que l’on appelle aujourd’hui la neurofibromatose. Ayant vécu dans les années 1800, Merrick ne pouvait à peine bénéficier de l’évolution de la science médicale. Le spectacle relate donc son parcours pour le moins atypique et inspirant, de ses années à être injustement exploité dans des foires où il était exhibé comme une bête hideuse jusqu’à sa rencontre avec le Dr Frederick Treves (David Boutin) qui lui a permis d’être résident permanent à l’Hôpital de Londres.
L’étude de son cas n’a évidemment pas entraîné que de la véritable empathie mais aussi de la curiosité perverse et des intentions mercantiles qui sont entre autres illustrées par l’opportunisme faussement charitable du directeur de l’hôpital, Francis Cullin Carr-Gomm (Roger La Rue), ainsi que les nombreuses visites de membres de la Haute société engendrées par Mme Kendal (Sylvie Drapeau), une actrice engagée par le Dr Treves pour distraire John. Ces thématiques trouvent un écho subtil efficace dans le texte de Pomerlance qui manque vigoureusement de tonus et d’originalité lors du premier acte. La mise en scène classique à souhait n’offre pas un départ fracassant, le rythme étant un peu trop linéaire et à saveur scolaire. Il faut attendre l’apparition d’une somptueuse horloge en arrière-scène pour être témoin d’un peu d’audace. Ce choix scénique s’avère d’autant plus ingénieux lorsqu’on sait que Joseph Merrick a habité dans l’endroit dans lequel logeaient anciennement des cloches.
Cette ode à l’humanité, autant sa plus pure que sa plus hypocrite expression, comprend suffisamment de moments drôles et touchants pour compenser les lacunes et les décisions artistiques conventionnelles. Même si l’ensemble de la distribution offre des prestations respectables, à commencer par David Boutin et Sylvie Drapeau qui apportent complexité et vulnérabilité à leur personnage, c’est réellement Benoît McGinnis qui fait que cet Homme éléphant , d’un point de vue strictement culturel (et non la poignante existence de Merrick), reste gravé dans l’imaginaire. Dépourvu de prothèses et d’un maquillage exagérés pour démontrer les ravages physiques éléphantesques, risque plus que payant d’ailleurs, l’acteur se donne corps et âme pendant 90 minutes sans intermission. Sa mâchoire légèrement disloquée, sa démarche boiteuse, sa respiration haletante et son élocution difficile mais si élégante qu’elle fascine créent bien plus d’impact qu’un costume qui aurait vite pu sombrer dans la grossièreté. Il relève haut la main le défi titanesque en se montrant totalement investi et sincère.
Bref, il ne faut pas manquer sous aucun prétexte cet éblouissant tour de force de la part de Benoit McGinnis. L’Homme éléphant est présentée dans le cadre de Montréal en lumière jusqu’au 3 mars.
Crédits Photos : Jean-François Hamelin