Après une série en 2017 collée sur les précédentes adaptations et un film en 2018 transposé dans les temps modernes qui a rapidement sombré dans l’oubli, voilà que le premier roman, le plus connu, de la trilogie Little Women de Louisa May Alcott subit une autre reprise qui atterrit au cinéma aujourd’hui en cette fin de 2019.
Est-ce que cette oeuvre mythique se déroulant pendant la Guerre de Sécession, après des relectures approximativement à toutes les décennies depuis les années 1900, mérite encore toute cette attention renouvelée et est-ce que cette dernière est encore pertinente? Forte de son succès surprise en 2017 avec Lady Bird qui a confirmé son statut de réalisatrice à Hollywood , la comédienne Greta Gerwig répond étonnamment par l’affirmative à ces interrogations avec son réconfortant Les quatre filles du Docteur March réunissant une distribution de haut niveau qui s’en donne à cœur joie.
Les bases mêmes de l’histoire demeurent inchangées. Le long-métrage suit, à grands coups de retours en arrière, sept années charnières dans la vie des quatre sœurs March. Pendant que leur père vient en aide à ceux qui risquent leurs vies dans les tranchées, elles expérimentent les aléas tantôt heureux tantôt douloureux de la vie en pleine période trouble.
Aspirante écrivaine, Jo (Saoirse Ronan) est tellement soudée à ses comparses et son indépendance qu’elle ne réalise pas que son nouvel ami, le richissime voisin rebelle Laurie (Timothée Chalamet), est éperdument amoureux de sa personnalité extravertie. Amoureuse d’un cousin de Laurie, Meg (Emma Watson) délaisse son talent en jeu pour mener une vie de famille rangée où les écarts dans le budget peuvent être fatals, mais elle ne regrette aucunement son choix. Douée en peinture même si son manque de confiance l’empêche de se démarquer, la cadette Amy (Florence Pugh), la plus capricieuses de toutes, s’exile à Paris avec sa conservatrice et acariâtre Tante March (Meryl Streep) pour perfectionner son art et oublier son faible pour Laurie. Pendant ce temps, Beth (Eliza Scanlen) ignore momentanément sa santé fragile lorsqu’elle joue passionnément du piano chez le père de Laurie (Chris Cooper) qui, lui, a l’impression de côtoyer la réincarnation de sa fille décédée. Tout cela se produit sous les yeux dévoués de la matriarche Marmee (Laura Dern).
Bien que le long-métrage se déroule au XVII siècle, jamais cet univers n’a paru si actuel. Ceux qui craignaient que Gerwig ne perde sa fraîcheur en s’attaquant à un classique pour sa première incursion chez un studio majeur (Columbia Pictures) seront rassurés dès les premières minutes. À travers une chronologie déconstruite possédant une remarquable fluidité, les personnages jouissent d’une psychologie développée et font face à des thématiques encore préoccupantes aujourd’hui. À l’intérieur d’une trame narrative bien ficelée qui va à l’essentiel pour comprendre la dure mais tendre réalité de la famille March, Greta Gerwig, également autrice du scénario, souligne l’importance d’appartenir à une famille aimante, signe un vibrant plaidoyer sur l’épanouissement identitaire à travers les arts et laisse entrevoir une nécessaire ambiguïté quand à l’orientation sexuelle de certains femmes dont la principale vedette.
Terme bien trop souvent utilisé à toutes les sauces, le féminisme est ici judicieusement et sans équivoque au cœur de cette oeuvre. Il s’exprime notamment par le biais des négociations salariales, de l’équilibre entre indépendance et valeurs conservatrices ainsi que le respect de tous les modes de vie. La perception de l’amour est également questionnée, particulièrement l’obligation qu’une femme ressent de tomber amoureuse, d’un homme de surcroît, et être mariée afin d’être considérée digne. Autrement dit, la fougue de Greta Gerwig ,bien ancrée dans sa génération, se transporte à la fin de 1860 sans aucune complaisance et, surtout, sans aucun compromis pour plaire à la galerie. L’ironie dans tout cela, c’est que la compagne de Noah Baumbach, qui accumule présentement les mentions pour son Marriage Story, a vraisemblablement omis de dire à la production qu’elle était enceinte pendant le tournage… On ignore les raisons de cette décision volontaire , et elles sont probablement légitimes, mais cela confirme qu’il est encore primordial d’éduquer par la création fictive sur les conditions féminines dans la société.
Exemplaire, la reconstitution transcende le visuel léché relié à cette époque en donnant l’impression d’être un personnage en soi. Les textures prennent littéralement vie. La caméra de Gerwig ne manque jamais de grâce et de dynamisme. Les costumes de Jacqueline Durran se distinguent avec leur orgie de couleurs pastel et de motifs attrayants alors que la trame sonore d’Alexandre Desplat, bien que conventionnelle par moments, séduit par sa beauté en plus de toujours appuyer à bon escient les intrigues et ne jamais noyer les émotions perpétrées par les comédiens.
D’ailleurs, ces derniers, les vétérans comme les recrues, partagent une chimie captivante se moulant à merveille avec les relations enivrantes ou tendues que se livrent les personnages. Greta Gerwig est parvenue à extraire d’eux une justesse et un charisme extraordinaires. Florence Pugh, qu’on a pu voir dans Lady Macbeth et Midsommar, impose avec intelligence son irrésistible regard d’ange cornu. Emma Watson fait preuve d’une élégance, d’une maturité et d’un calme magnétiques. Timothée Chalamet et Saoirse Ronan continuent lentement mais sûrement de devenir les acteurs les plus prometteurs et ravageurs de leur génération. Dans des rôles secondaires plus effacés , Laura Dern et Meryl Streep rayonnent grâce à leur sens incomparables des nuances.
À l’affiche en version originale anglaise et en version française dès maintenant. Vous pouvez consulter l’horaire détaillé au Québec ici.
Crédits Photos : Colombia Pictures