Nos ghettos :  »Le bonheur se trouve dans la rencontre qui s’avère impossible. »

Jean-François Nadeau nous entraîne avec lui dans un périple à la triple frontière de Rosemont, Saint-Michel et Villeray, coin Bélanger et de la 2ème avenue. Entre l’épicerie congolaise, le dépanneur chinois, le Russe arrogant et la voisine qui se cache en prenant soin d’être vue, toutes les rencontres banales se font épiques, tous les commerces multiculturels se font nouveau territoire d’exploration. Se transformant en Ulysse moderne, Nadeau, accompagné d’une poupée cauchemardesque offerte par son étrange voisin, se lance dans une odyssée urbaine dans sa quête du Saint Graal fromage jaune single de Kraft, de son pain tranché et de sa soupe au pois.

Contrairement à ce que nous pourrions attendre d’un tel thème, Nos Ghettos ne revêt pas la robe de juge et ne se fait pas procès de notre incapacité au vivre ensemble ou de nos intolérances. Soulignant nos failles, sans nécessairement nous en tenir rigueur, l’auteur nous offre plutôt une observation humble de lui-même parmi la faune environnante de son ghetto, en pointant ces frontières artificielles et invisibles qui nous séparent. Tel un ethnologue, il pose un regard sur son quartier dans lequel tout le monde s’ignore et dans lequel la rencontre sincère de l’autre s’avère impossible, de part et d’autre. Sans être moralisatrice, donc, sa plume s’avère poétique et esthétique, tantôt rugueuse et sauvage, tantôt douce et touchante. Dans un texte franchement abouti, les répliques savoureuses et réflexives s’enchaînent. Elles accompagnent nos pensées pour les semaines suivantes, nous forçant à réfléchir sur notre identité, sur notre histoire, notre isolement et sur ces douanes inobservables qui existent entre nous.

En affinité avec le texte, l’interprétation de Nadeau ne se veut jamais non plus hautaine; elle est vraie, sentie, exhumant un parfum de candeur qui nous permet de nous interroger sans nous heurter. L’ambiance sonore qui enrobe toute l’épopée et la musique, moqueuse et drolatique, sont assurées par le comparse d’un ancien duo (Tungstène de bile), Stéfan Boucher,et par Olivier Landry-Gagnon à la console et à la guitare. Sur scène, Stéfan et Jean-François, tels deux gamins, ont l’air de s’amuser comme des fous. La chimie est palpable et le duo se complète à merveille, Stéfan Boucher amenant une touche d’ironie crasse qui fait rire.

La mise en scène, sur le tout petit bout de scène de la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’aujourd’hui, est simple, mais efficace. Elle porte adéquatement le texte qui se fait réelle vedette du projet. La scénographie, quant à elle, se trouve plutôt encombrée (un micro, notamment, bouche la vue sur le fond de scène et sur l’écran de projection), mais rassemble quand mêmes quelques idées simples qui apparaissent bien pensées. Dans ce voyage initiatique, les lieux sont représentés par des décors neutres et interchangeables. Les éclairages sont les meilleurs alliées de cette scénographie, créant instantanément des ambiances sur mesure. Un simple néon qui s’allume nous fait tout à coup réellement sentir à la clinique 3000 du coin de la rue.

Si le vivre ensemble parait donc être un fantasme d’idéologue, Jean-François Nadeau conclut qu’il sera impossible, tant que nous serons coincés entre l’angélisme du discours multi-culturaliste et la barbarie de la supériorité, d’arriver à une rencontre sincère de l’autre. Ne prétendant pas y trouver la solution, l’auteur et interprète nous invite cependant à nous connaitre nous-mêmes pour d’abord faire face de façon franche à cet isolement dans lequel nous nous plaçons dans chacun de nos petits ghettos.

Crédits Photos : Patrice Lamoureux