Nous : et tombent les masques

Nouvelle icône du cinéma d’horreur à connotation politique, Jordan Peele, maintenant armé d’un Oscar du meilleur scénario original pour son premier film Get Out qui a connu un retentissant succès surprise, effectue ce week-end  son retour avec le très attendu Nous. Déjà dépeint comme un cauchemar magistral avant même sa sortie officielle, cette seconde offrande confirme que le réalisateur et scénariste maîtrise bel et bien les ambiances angoissantes en crescendo, mais, contrairement à sa précédente oeuvre, la portée du sous-texte échoue à marquer instantanément les esprits au même titre que le magnétisme insaisissable du visuel.

Probablement l’une des plus incroyables de la présente décennie, la bande-annonce, avec son remix inquiétant de la chanson I got 5 on it de Luniz , fait saliver grâce à ses scènes sanglantes et les regards terrifiants voire maléfiques de la distribution. Ce suspense haletant se déploie plus tranquillement dans le long-métrage de près de 120 minutes, mais l’attente insoutenable menant au revirement final ne s’estompe aucunement. Le public se laisse berner par les manipulations de Peele la seconde où il fait connaissance avec la famille Wilson. La mère, Adelaide (Lupita Nyong’o), doit faire face à ses démons d’enfance lorsque son mari (Winston Duke) et ses deux enfants (Shahadi  Wright Joseph  et Evan Alex) souhaitent passer un bon temps en famille sur une plage de Santa Cruz. Tout se déroule à merveille jusqu’à ce que des doppelgängers nommées Tethered s’introduisent dans le domicile dans le but d’éliminer toute trace humaine.

Nous est né du désir de Peele d’explorer ce qu’il considère être sa pire peur à vie : être confronté à lui-même. Le scénario soulève beaucoup de questions complexes sur l’identité, le manque d’empathie et le flou entre ce qui est bien et mal. Les métaphores utilisées pour illustrer ces sujets peuvent parfois être lourdes, mais les spectateurs ne décrochent jamais, trop soucieux de porter une attention maladive aux moindres détails. Peele possède ce don prodigieux d’insérer subtilement des indices permettant d’émettre des hypothèses sur la conclusion qui nous dirigent autant sur de bonnes que de fausses pistes.

La tension et les facteurs de stress ne cessent d’augmenter de scène en scène. Par contre,  au-delà des multiples interprétations que le film peut susciter, la sensation de ne pas savoir ce que le réalisateur souhaitait véhiculer comme réel message se fait trop sentir, nous laissant confus inutilement. En fait, Jordan Peele parvient tellement à créer une atmosphère étouffante que, peu importe la finale , les énormes attentes ne sont pas comblées au premier visionnement. Nous est donc ce genre de film qu’il faut savourer plus d’une fois pour en détecter tous les parfums et intentions cachées.

Bien que la facture visuelle ressemble à celle de Get Out, Nous verse plus profondément dans l’horreur graphique en étant un croisement tantôt heureux tantôt bizarre entre une invasion à domicile classique et le début d’une apocalypse. Un passage à mi-parcours fait craindre le pire avec son taux anormal d’hémoglobine qui fait rire plutôt que de dégoûter, mais la catastrophe est vite évitée grâce à la trame sonore grandiose de Michael Abels qui cerne les moment d’épouvante à la perfection sans jamais les surcharger. Elle devient un personnage en soi et contribue à bien des sursauts. Pour contrebalancer avec l’oppression et le malaise qui émanent des scènes, Jordan Peele a recours à un humour franchement sympathique et libérateur qui ne vole en aucun instant la vedette. Son instinct de réalisateur continue d’époustoufler. Les angles de caméra, les contre-plongées franchement imprévisibles et ingénieuses ainsi que la variété dans les champs dégagent des émotions pures qui n’ont nullement besoin de mots. La  chorégraphie lors du troisième acte est rien de moins qu’une scène d’anthologie qu’il ne faut louper sous aucun prétexte. Un grand moment de cinéma qui prouve que le genre regorge de poésie.

Un autre tour de force de Nous est sans contredit la performance hallucinante de Lupita Nyong’o. Tous les membres de la distribution excellent et épatent, mais l’actrice lauréate d’un Oscar se distingue par sa capacité à se fondre complètement dans la peau de son personnage et son double. Alors qu’elle s’avère attachante dans le rôle de la mère dévouée et aimante, elle donne des frissons d’effroi lorsqu’elle devient Red, son Tethered , avec toutes les contorsions faciales inconfortables et la voix grave sinistre que cela implique. Espérons que l’engouement autour de Nous continuera pendant des mois afin de lui assurer une place dans la catégorie de la meilleure actrice…

Nous est présentement  à l’affiche.

Crédits Photos : Universal Pictures