Oslo

Oslo, qui retrace les événements historiques de 1993 du processus secret de négociation de la paix entre l’état Israélien et l’Organisation de libération de la Palestine, ouvre la saison théâtrale chez Duceppe. La pièce met en scène un couple de diplomates norvégiens, Terje Rød-Larsen (Emmanuel Bilodeau) et Mona Juul (Isabelle Blais) , initiateurs de ces tractations entre hommes politiques qui mèneront finalement les Arafat, Peres et Rabin à recevoir le prix nobel de la paix en 1994.

Des sujets socio-politique, la metteure en scène Édith Patenaude en a l’habitude. L’absence de guerre de David Hare, reprise l’an dernier à La Licorne, lui avait valu le prix de la mise en scène des Arts et de la Culture de Québec. La mise en scène suit bien l’idée du texte de J.T. Rogers qui adopte un point de vue à hauteur d’homme pour parler de ce conflit d’envergure internationale. La vulnérabilité est au cœur du texte, comme elle est au cœur de la mise en scène, comme elle est au cœur de chaque homme et femme impliqué dans ces événements. Toute l’idée du texte porte sur le fait de ramener le conflit international à un niveau de conflit relationnel. On remarque bien le parallèle, brillamment mis en valeur par la metteure en scène, et qui donne lieu à l’un des meilleurs moments du spectacle, quant, au beau milieu de ces négociations internationales, il y a la négociation interne de Larsen sur ses propres limites et propres convictions alors qu’il en vient à bafouer la crédibilité de sa propre femme pour faire avancer la situation.

C’est dans un espace encombré de dizaines de classeurs de métal de différentes tailles que les acteurs nous apparaissent d’abord. Ce champs de formes rectangulaires aux lignes dures et ordonnées n’est pas sans rappeler, curieusement, le monument de l’holocauste à Berlin. Si l’espace, au début, peut évoquer aussi les dédalles infinis et les obstacles du processus de négociations, leur retrait au fur et à mesure que progresse l’intrigue pour ne finalement laisser place qu’à une table et quelques chaises semble une métaphore bien orchestrée du processus de décongestion de ces mêmes négociations. Le «gradualisme» est l’idée du sociologue et professeur Larsen pour rendre à sa plus simple expression les pourparlers internationaux et de les retourner à ce qu’ils ont de plus fondamental: la relation entre deux personnes.

L’espace se libère, comme se défont la haine et les différences. Deux hommes politiques, représentant chacun les enjeux de leurs nations divisées depuis des décennies et marchant dehors au froid en ayant comme seuls escortes leurs manteaux longs et le clair de lune, se rencontrent dans une intimité dénudée de protocoles qui les rend enfin prêts à sceller cette paix si attendue. Telle était l’idée de Larsen bien représentée dans ce décor sobre, mais efficace. Puis… il y a ces estrades, d’abord face à face, puis côte à côte, qui surenchérissent et rendent peut-être trop concrète cette idée de joute politique.

Une combinaison de contrebasse et de batterie marque l’ouverture de la pièce. On aime, au début, ces sons frappés et cassants, on s’attend à ce que le duo vienne soutenir les tensions dramatiques que l’on devine déjà et que l’on espère. Hélas, voilà qu’une bonne idée qui aurait eu à son avantage la parcimonie se trouve finalement à être un long enchaînement sans précision et sans crescendo. Ajoutez à cela les nombreuses engueulades musclées qui ont lieu et dont le ton manque parfois de nuances et vous n’avez qu’un ensemble musical qui n’a finalement pour fâcheux effet que de noyer le suspense.

Sans la candeur que l’on connait d’Emmanuel Bilodeau, le personnage de Larsen nous aurait certainement apparu beaucoup plus antipathique. Son jeu nous le rend attachant et sympathique, mais c’est à regret, parfois, que l’on sent qu’il pouvait manquer juste un peu de sérieux et de gravité pour refléter le caractère mégalomane que possédait nécessairement son personnage pour se lancer dans une telle entreprise. Isabelle Blais interprète adroitement cette femme solide qui a dû servir de filet de sécurité à son mari et à tout le processus en général. Elle hérite de la part pédagogique nécessaire, s’adressant souvent au public pour permettre aux spectateurs de saisir les enjeux qui se déroulent sous leurs yeux. Son jeu reste poli et retenu, trop peut-être, et contrebalance pour la touche de sérieux manquante de son partenaire de jeu principal. Manuel Tadros pour son personnage de Ahmed Qoreï, Jean-François Casabonne pour son interprétation de Shimon Peres et Ariel Ifergan pour celui de Yossi Beilin restent sans doute les coups de cœur au niveau de l’interprétation. Il va s’en dire que l’ensemble des 14 comédiens relève certainement un défi de taille puisque, pendant toutes les 160 minutes que dure le spectacle, aucun acteur ne fait défaut de sa présence sur scène. C’est un pari risqué, l’épuisement pouvant amener au relâchement du jeu, mais il semble que ce fût gagné sur ce point pour la proposition d’Édith Patenaudeet son équipe qui ne fléchissent pas devant la colossale tâche.

C’est un défi de taille qu’affronte cette équipe dirigée par la metteure en scène qui en est à sa première création avec le Théâtre Jean Duceppe. Bien que la surenchère et le manque de nuance nuisent parfois à faire de ces 2h40 une représentation franchement efficace et percutante de ces enjeux complexes, l’ensemble réussi à satisfaire. Bien sur, la pertinence de ce projet n’est pas à remettre en question. Malgré le message d’espoir sur lequel la pièce se termine, nous ne pouvons que ressortir avec le constat accablant que 25 ans après les événements, Gaza fait encore couler beaucoup d’encre et de sang…

Crédits Photos : Caroline Laberge