Depuis des siècles, Othello expose un mécanisme tragique fondé sur la manipulation, la jalousie et les différences raciales. Cette nouvelle adaptation au TNM témoigne de son étonnante modernité.
Confier la mise en scène à Didier Lucien n’a ainsi rien d’anodin. Son regard est notamment plus aiguisé sur la question du racisme. Car si au 17e siècle, offrir le rôle éponyme à un Noir pouvait surprendre, aujourd’hui, la diversité est un enjeu social important. Malgré tout, le défi de la représentativité est toujours d’actualité dans le paysage culturel (ce qui est un autre débat).
Sur scène, Othello est un général victorieux. À Venise, on le perçoit pourtant comme un étranger. Et quand le Maure marie en secret Desdémona, il s’attire les foudres de son père, Brabantio. Le sénateur se résigne néanmoins face à la raison d’État : l’invasion imminente de Chypre par les Turcs. Si au front, Othello est un fin stratège, sa lucidité lui fait parfois défaut. Et Iago, son fidèle officier, est bien décidé à exploiter cette faille pour provoquer sa chute.

La crise du mâle alpha ?
Durant plus de deux heures, les comédiens évoluent sur un échiquier dont les cases s’inspirent des péchés capitaux. Dans le rôle-titre, Roddley Pitt est bouffi d’orgueil, proche d’un mâle alpha en crise. Avec sa tendance à chosifier la femme, son personnage coche diverses cases de ce profil, sans l’être tout à fait. Son comportement est plus celui d’un homme toxique qui s’abandonne à la colère. L’interprétation de Rodley Pitt se vaut autant par sa rigidité physique que par son caractère bouillonnant. Son jeu gagne en cela en profondeur psychologique.
Mais si Othello est le socle de la tragédie, Iago en est le pilier. Lyndz Dantiste est assurément la révélation de la pièce. Son personnage est un redoutable stratège dont l’affabilité cache un génie du mal, assoiffé de vengeance. Le public se plaît à le détester, surtout dans ses apartés. Le comédien devient alors une vipère sournoise, dont on apprécie le sens des nuances. Dantiste épouse avec brio la duplicité de Iago, sans foi ni loi.
Thomas Boudreault-Côté (Roderigo) et Steven Lee Potvin (Cassio) restent dans un registre plus convenu. À l’inverse, les rôles féminins sont revalorisés. Ariane Bellavance-Fafard (Desdémona) apparaît davantage comme une figure de résistance. Loin de la victime soumise, elle se rebelle face à une accusation infondée de luxure. Quant à Myriam Lenfesty (Emilia), elle dénonce le joug masculin avec une bouleversante sincérité. Or, à une époque (pas si lointaine), on aurait réduit ces abus à de simples « crimes passionnels » pour masquer le drame des féminicides.

Une adaptation percutante
Cette relecture d’Othello s’ancre dans des enjeux contemporains : le sexisme institutionnalisé, le racisme systémique ou la remise en cause du patriarcat. Des sujets forts qui dérangent, bousculent et questionnent.
Le décor de forteresse est d’ailleurs à l’image de la complexité de ces thèmes. Une ambiance anxiogène faite de jeux d’ombres et de lumière. Le tout accentué par Valérie Le Maire dont le chant résonne tour à tour comme une plainte ou un signal d’alarme. C’est une belle trouvaille ! À l’inverse de l’incursion du cirque dont on peine à apprécier la valeur scénographique.
Quant à l’adaptation de Jean Marc Dalpé, elle insère dans le texte des expressions québécoises et quelques bribes d’italien. Un mélange linguistique original qui ne sera probablement pas au goût de tous.
C’est tout l’intérêt de revisiter un classique : en conserver l’essence tout en y insufflant une vision moderne. Car au-delà du simple hommage, l’Othello de Didier Lucien renforce la portée symbolique et engagée de l’œuvre de Shakespeare.
Othello jusqu’au 31 mai au TNM
Adaptation de Jean-Marc Dalpé
Mise en scène de Didier Lucien