Traversée

Traversée : Au fil du temps, les images se fixent

Le Centre d’art contemporain 1700 La Poste accueille pour la première fois depuis sa création en 2013, une rétrospective uniquement dédiée à la photographie intitulée Traversée. Pour ce faire, la vaste œuvre de la photographe Raymonde April nous est offerte. Selon la mécène et propriétaire du centre, Isabelle de Mévius, « Raymonde a inventé l’expo », elle a choisi chaque endroit où ses œuvres sont accrochées, créant ainsi un récit temporel dans une ambiance intimiste.

Elle nous offre un voyage à travers son passé en nous présentant des lieux qui lui ont parlé. Les images sont espacées entre elles pour laisser circuler le temps qui passe, explorant ainsi son besoin de rencontrer, de marcher, de traverser les temps pour capter les images. Les titres sont descriptifs formant un texte en parallèle, selon elle, la photo et l’écriture ont le même usage, elles communiquent un message que l’on peut interpréter des évènements vécus depuis très longtemps.

Tel un style documentaire qui met en scène des personnes qu’elle a connues et des lieux qu’elle a fréquentés, l’image fixe dans un monde en constante mouvance donne lieu à un arrêt dans le temps pour immortaliser un moment particulier et garder les souvenirs vivants. L’expo présente 151 photographies dont 30 seulement déjà vues, d’un continent à l’autre, un pont entre la géographie et les relations humaines. Traversée des visions, de 1970 à aujourd’hui, traversée des lieux, Québec, Montréal, Rivière du loup, Budapest, Beijing, Mumbai et des époques.

Sur les murs blancs du centre d’art, les choses se démultiplient, une fabrication mentale des images traversées par elle et les autres; amis, collègues, amants, beaucoup de personnages qui se déplacent dans l’espace et des photos qui évoquent des moments significatifs pour l’artiste.  Elle débute les autoportraits à l’âge de 25 ans, elle a composé, cadré et organisé à partir de scènes vécues, de lignes de paysages, des images douces de la vie qui coule comme le flot, la rivière, le fleuve de son enfance, un paysage qui développe un rapport à elle et se retrouve dans ses photos.

Sobriété et humilité se dégagent de l’ensemble, des images songées où elle apparait devant une composition puis devant l’autre. Elle témoigne et crée des images de sa relation avec la quotidienneté à partir de ses archives personnelles. Nous observons la banalité du quotidien dans un déploiement empreint de poésie. Ses compositions créent des lieux de mouvance où des êtres circulent, s’affichent naturellement, bien humblement. L’artiste nous partage qu’en revisitant ses photos, elle a découvert de nouveaux éléments,  « il y a des façons de composer qui nous suit, on ne peut y résister ».

Au rez-de-chaussée, beaucoup d’autoportraits principalement en noir et blanc, au sous-sol, des photos de Mumbai en couleur qu’elle appelle son journal de Mumbai, l’ensemble le plus nostalgique, car il est situé dans le temps intime. Des prises de vue à vif illustrant ses longs voyages en Inde. Un retour en arrière, une traversée du passé. En haut, une magnifique série de photographies grand format qui rejoint les deux parties du monde. En juxtaposant les images, le résultat ressemble à des tableaux, cette transposition crée des espaces nouveaux. Au coffre-fort de l’ancien bureau de poste, des images d’un brasier, photos d’un évènement, une femme fait un feu pour se débarrasser d’un tas de morceaux de plastique, mélange beauté /image, 22 pages à feuilleter.

Raymonde April a une longue feuille de route artistique qui s’étend sur plus de cinquante ans, de nombreuses expositions à travers le monde, des prix et des reconnaissances diverses parsèment son parcours.

Elle cofonde la Chambre blanche à Québec en 1978, un des premiers lieux de diffusion géré par un collectif de créateurs photographes. Elle a enseigné la photographie à l’Université Concordia pendant 33 ans. En 2013, elle initié le projet Outre-vie/Afterlife réunissant treize femmes artistes qui explorent leurs univers créatifs en projets communs, le thème tourne autour du récit/mémoire.

Un documentaire de Bruno Boulianne sur l’artiste fait partie de l’exposition. Son ami Charles Guilbert en fait la narration au je comme s’il était elle. Un catalogue de 180 pages complète parfaitement l’exposition.

Rien n’est définitif, tout est en mouvance, une traversée réussie. Traversée au  1700 LA POSTE Montréal du 7 octobre au 18 décembre 2022- Entrée libre