La politique… elle nous frustre autant qu’elle nous fascine. Le jargon volontairement compliqué et faussement magnifié qu’utilisent les dirigeants nous fait bien souvent comprendre absolument rien. Le réalisateur et scénariste Adam McKay remédie à la situation en offrant un cinéma qui rend accessible toute la poutine des politiciens et hommes d’affaires qui nous manipulent sans remord. Après le film oscarisé Le casse du siècle* qui retraçait la crise financière de Wall Street en 2005, McKay s’attarde maintenant à Dick Cheney, le vice-président de George W.Bush qui, de la plus discrète des manières, s’est arrangé pour que la culture de la peur et de la guerre devienne tristement celle qu’on connait aujourd’hui. Avec Vice, Adam McKay propose une biographie à la fois conventionnelle et ingénieuse de ce grand écouteur.
Comme Cheney est justement un homme de peu de mots, il a été difficile pour le scénariste de trouver des faits véritables. La mordante introduction du film nous suggère donc de prendre la véracité de l’oeuvre avec un grain de sel. Cet avertissement fait, le public embarque à pieds joints dans ce »documentaire » grinçant et exaspérant qui offre de belles trouvailles sur le plan cinématographique. Ceux ayant visionné Le casse du siècle ne se sentiront pas dépaysés avec le ton employé par McKay. Au contraire, on peut déceler des similitudes assez rapidement : les acteurs qui s’adressent directement aux spectateurs, l’humour sarcastique, une trame narrative déconstruite qui comprend un bon nombre de revirements franchement étonnants et imprévisibles. Cette formule efficace permet de bien vulgariser des éléments complexes en plus de s’avérer franchement divertissante.
Adam McKay prend également soin de dresser une psychologie fine et profonde des personnages importants, ce qui accentue le sentiment de proximité. Le réalisateur est un bon manipulateur, car il pousse son public à constamment flirter entre la compassion et la frustration. Les cinéphiles ne savent jamais sur quel pied danser ou quelle opinion adopter. Vice regorge de scènes d’anthologie comme la scène de lit shakespearienne entre le couple Cheney, le fameux repas entre Cheney et Bush qui est encore plus ensorceleur qu’un tour de prestidigitation, la fausse finale heureuse et l’état cardiaque du vice-président à qui le karma sourit inexplicablement. Les procédés cinématographiques privilégiés par McKay auraient pu totalement confondre le public, mais il n’en est rien. La trame narrative et la réalisation s’imbriquent fluidement.
La distribution exécute un travail admirable. En épouse tiraillée entre ses valeurs féministes et ses devoirs familiaux, Amy Adams incarne une Lynne Cheney intransigeante, impénétrable et ambitieuse qui s’avère étrangement un modèle à suivre…et à ne pas suivre! Christian Bale hérite du rôle le plus ingrat car il est difficile à aimer, mais l’acteur d’expérience se l’approprie entièrement avec une froideur énigmatique. Habitués de jouer les amoureux, lui et Adams font preuve d’une chimie exemplaire et crédible. Sam Rockwell offre un George W.Bush fort convaincant et naïf à souhait. Par moments, on se prend même à le prendre en pitié. En Donald Rumsfeld, Steve Carell hérite de répliques savoureuses qu’il livre avec un sarcasme jubilatoire. Dans le rôle de Mary Cheney, Alison Pill traduit avec un naturel désarmant toute l’injustice, la colère et la déchirure qu’elle ressent face à cette politique mesquine qui rejette son homosexualité et crée des frictions au sein de sa famille. Qui plus est, cet aspect dans la vie des Cheney est traité normalement, sans gros trait, et ça fait du bien.
Bref, Vice séduit par sa manière d’injecter au genre biographique une bonne dose de risques et d’audace, le tout enrobé d’un humour incisif irrésistible. Préparez-vous à être choqués et à être encore plus désabusés envers la politique…et oui, c’est malheureusement possible…
*Le casse du siècle a remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté en 2016.
Ce film est à l’affiche depuis le 25 décembre 2018.
Crédits Photos : Les Films Séville