Where’d you go Bernadette : créer pour ne pas dériver

Le titre, les affiches promotionnelles , la bande-annonce…tout porte à croire que Where’d you go Bernadette du réalisateur Richard Linklater (Boyhood est un suspense de disparition haletant à la Gone Girl. Ce ne pourrait être plus mensonger. Avant de vous réserver votre samedi soir à ce film bien emmitouflé dans votre salon chaud , sachez que cette stratégie dévoile plutôt une exploration psychologique de l’acte de fuir qu’une chasse à l’homme. Si on disparait de soi, vit-t-on réellement avec bonheur? À quel point vivre sans art est dénué de sens? Philosophie infiniment intéressante dans un film qui, malheureusement, n’est bien souvent pas à la hauteur de ses ambitions. 

Anciennement une excellente architecte renommée, Bernadette Fox (Cate Blanchett) a laissé les coups mesquins et mauvaises critiques prendre le dessus sur sa passion. C’est dans ce contexte qu’est née sa fille Bee (Emma Nelson) et comme elle a en plus une condition médicale complexe, Bernadette extériorise sa frustration et sa lâcheté en se faisant croire qu’elle doit surprotéger son enfant et ne penser qu’à son bien. Malheureusement, ces bonnes intentions deviennent vite envahissantes lorsque Bee, maintenant pré-adolescente, réalise que le comportement de sa mère adorée cache un mal-être profond. Alors que les broutilles avec l’énervante voisine écolo Audrey (Kristen Wiig) s’intensifient de façon ridicule et que son mariage bat de l’aile, Bernadette s’enlise dans le déni, l’angoisse et la solitude. La seule solution demeure toujours de fuir, mais dans des eaux inconnues permettant de retrouver le droit chemin…

L’adaptation cinématographique du best-seller de Maria Semple n’est pas indigeste, loin de là. Elle comporte ça et là des moments d’émotions pures, spécialement lors de son dernier acte. Cependant, le scénario de Richard Linklater, Holly Gent et Vincent Palmo Jr. ne semble pas avoir trouvé la façon de se distancier du code littéraire pour le transformer adéquatement en un langage propre au septième art.

Les épanchements psychologiques d’un personnage à travers les mots ne sollicitent pas les mêmes émotions et engagements qu’à travers les images, et vice versa. Ainsi, peu importe le talent de l’acteur mis en valeur, il ne suffit pas de privilégier  des silences et des gros plans mélancoliques du protagoniste pour véhiculer des émotions bouleversantes. Il faut que les moments contemplatifs aient une pertinence. Malheureusement, il se dégage presque uniquement de la répétition dans ceux de Where’d you go Bernadette.  Rien ne décolle. La volonté de dépeindre un portrait réaliste de la santé mentale se perd dans la victimisation et les raccourcis scénaristes peu originaux. Il y a des limites à ce qu’un assistant virtuel qui exécute tous les désirs de Bernadette grâce à des échanges vocaux puisse faire , surtout quand ce dernier revient dans presque toutes les scènes.

Lors du premier acte, on a envie d’aller prendre Bernadette dans nos bras et lui dire qu’elle peut se réaliser malgré ses peurs. À mi-parcours, on a plutôt envie de la secouer presque violemment , sa mauvaise foi faisant place à la frustration et au découragement.  Aussi désagréable que son héroïne puisse être, Cate Blanchett arrive à lui insuffler de la compassion, en partie grâce à son immense intelligence du jeu. La seconde où le scénario dense lui permet de respirer, elle s’empresse de montrer aux spectateurs la fragilité et la vulnérabilité attachantes de Bernadette pour qu’ils soient plus en mesure de comprendre les raisons de son attitude loin de toutes démarches didactiques. C’est pourquoi la dernière partie de l’oeuvre sauve la mise. Le pep talk d’un ancien collègue (Laurence Fishburne) sur l’urgence de créer suscite enfin une belle prise de conscience menant à une finale touchante et vraie dépourvue d’émotions plaquées, nous montrant ainsi que Where’d you go Bernadette a du cœur et aussi qu’il a peut-être compris trop tard qu’il n’a appliqué tous ses conseils pour être le grand film qu’il aurait pu devenir.

Crédits photos : Les Films Séville

2.5