Zebrina au TNM: un mystère existentiel magistralement porté par Emmanuel Schwartz

Après une pénible pause forcée de plus de six mois, quelle joie de retourner au théâtre! Ce bonheur incommensurable de retrouver la scène prévaut largement sur l’exténuante procédure sanitaire désormais partie intégrante de notre quotidien lors de sorties publiques : se désinfecter les mains à l’entrée, respecter une distanciation sociale, porter un masque jusqu’à l’arrivée de notre siège isolé baignant dans une mer de toiles protectrices noires et attendre sagement qu’un préposé dévoué nous escorte vers la sortie.

Oui, cet arsenal vient avec un climat inquiétant qu’on ne peut ignorer. La frénésie d’une première est altérée par le fait de passer d’une possibilité de 832 spectateurs à 160. Les rumeurs dans la salle sont moins assumées, chacun était plus sur le qui-vive. Or, une fois la pièce entamée, tout ça disparaît. Le théâtre nous revient inchangé. La qualité du montage sonore, de la conception vidéo, des décors et des éclairages demeure intacte et magique pour nos yeux de spectateurs souhaitant tant être émerveillés et bouleversés par l’art vivant.

Pour ouvrir cette saison particulière, le TNM ne pouvait choisir un meilleur solo, ne serait-ce que pour toutes les significations existentielles qu’il enferme. Traduite par Serge Lamothe et élégamment mis en scène par François Girard (réalisateur des films Le violon rouge, Silk et The Song of Names), Zebrina, une pièce à conviction (version française de Underneath the Lintel du dramaturge Glen Berger) se veut, comme son nom l’indique, une énigme théâtrale à élucider.

Emmanuel Schwartz incarne avec brio un bibliothécaire hollandais d’âge avancé qui loue une salle de théâtre au prix exorbitant le temps d’une soirée. Il confie à une salle presque vide qu’un homme anonyme a ramené en 2006 un livre qu’il avait emprunté…il y a 133 ans. Fasciné par cette situation atypique, il plonge corps et âme dans la poursuite de d’autres indices (les fameuses pièces à conviction qu’il présente au public) pouvant révéler la mystérieuse identité de l’emprunteur. Ce qui débute par une enquête loufoque se transforme en un voyage autour du monde déstabilisant et fantaisiste qui exprime toute la futilité de la vie et duquel le personnage principal ne peut revenir indemne.

La situation actuelle dans la salle donne la sensation aux spectateurs qu’il fait partie intégrante du public à qui le bibliothécaire s’imagine parler. L’oeuvre mérite d’être vue à plusieurs reprises pour qu’on puisse déceler de nouvelles interprétations et approfondir nos précédentes analyses. Émanant d’un récit truffé de répliques philosophiques si vraies qu’elles deviennent instantanément des citations marquantes, ces réflexions vont bien au-delà de la résolution de l’énigme qui s’avère bien plus complexe qu’on ne peut se l’imaginer.

L’attention du spectateur est sollicitée pleinement du début à la fin, car le moindre détail compte. La vaste complexité de l’intrigue peut facilement nous faire divaguer inconsciemment. Si on perd le fil vers la fin de l’intrigue, cela devient  par contre très dangereux pour notre compréhension mais, même si on n’a pas l’impression de tout saisir, ce n’est pas grave, car l’humanité du texte touche en plein cœur.

Seul sur scène, Emmanuel Schwartz accomplit un tour de force à plusieurs niveaux. Il donne l’impression d’avoir joué cette pièce devant public depuis des mois alors qu’il n’en est rien. Hormis deux ou trois accrochages dans la prononciation, l’acteur maîtrise à la perfection l’accent hollandais. Sa diction est renversante. Il a parfaitement saisi le rythme recherché, maniant à la fois la crédibilité de l’accent et l’intention derrière les paroles dites. Son humour involontaire, sa peur de l’intimité font sourire alors que ses excès de colère sérieux donnent froid dans le dos.

Tous peuvent sympathiser avec la quête de sens du personnage, surtout qu’elle est sublimée avec pertinence par des projections grandioses et originales. À la fin de la présentation, lorsque le bruit qu’on croyait disparu des applaudissements jaillit, on se sent aussi galvanisé que la vedette de la soirée visiblement émue et choyée tant ça fait du bien. Les gens avaient besoin de théâtre. Et ils en auront de besoin toujours car, comme Zebrina, une pièce à conviction le démontre si bien, il nous aide à mieux comprendre et relativiser l’existence.

La pièce est présentée en salle et en simultané sur le web jusqu’au 24 septembre. Des supplémentaires sont prévues le 25 septembre à 20h00, le 26 septembre à 15h00 et 20h00 ainsi que le 27 septembre à 14h00. Vous pouvez vous procurer des billets ICI.

Crédits Photos : Yves Renaud