Coriolan : de hautes attentes totalement comblées

« Difficile de trouver des billets! », peut-on entendre, presque en rumeur, dans le théâtre avant que ne s’ouvrent les portent de la salle. C’est peu dire sur les attentes qui précédaient la venue du nouveau Coriolan de Lepage au TNM après son triomphe incontestable dans sa version anglophone au prestigieux festival shakespearien de Stratford à l’été 2018. Ce qu’on y attendait, c’était non seulement d’assister à la reprise d’une bonne tragédie classique de tous les temps trop peu jouée, mais aussi de revoir à l’œuvre les prouesses mille fois vantées de l’inimitable Robert Lepage. Surtout qu’il s’agissait de sa première création à Montréal depuis l’avortement de SLĀV l’été dernier…

Posés dans un univers moderne dans lequel les débats de la place publique se tiennent plutôt dans un studio radiophonique, où l’on troque les cuirasses dorées pour des uniformes militaires kaki et où les voyages se font en rutilante voiture plutôt qu’en char attelé, les messages texte et les fusils d’assaut de la modernité laissent tout de même leur part de gloire aux scènes antiques pour former ensemble un heureux mariage bien équilibré. Le metteur en scène à la signature cinématographique se reconnait ici dans l’apogée de son art. Ajoutons aux transitions de lieux extrêmement rapides et fluides assurées par différentes projections vidéo le cadrage gigantesque en mouvance constante qui dirige le regard du spectateur, en plus du générique d’ouverture projeté sur scène, et l’illusion du cinéma est presque complète!

Comme au ballet, tous les mouvements de décors s’enchaînent et coulent gracieusement, sans soupçon des efforts colossaux fournis par les treize techniciens qui s’affèrent à l’arrière pour suivre le rythme infernal de ces changements de scène qui s’opèrent avec la précision d’une horloge suisse. Les effets époustouflants où la technologie sert à créer des tableaux d’images sublimes se succèdent dans cette production à grand déploiement qui n’a strictement rien à envier aux productions hollywoodiennes. Un murmure de  »wow! » s’élève dans la salle qui contemple, ébahie, les fantaisies de Lepage s’exécuter sur scène.

Après l’effet wow

Une fois amenuisé l’effet spectaculaire de la superproduction multimédia, surtout dans la seconde moitié du spectacle, on se concentre un peu plus sur la théâtralité de l’œuvre. De l’originale de cette tragédie antique de Shakespeare, Michel Garneau, qui en assure la tradaptation, en a gardé surtout ce qui constitue la trame narrative et en ampute ce qui donne un peu plus de corps aux motivations des protagonistes. Avec plusieurs longs monologues tronqués, la lenteur tragédienne typique s’en trouve nécessairement affectée, faisant place à une pièce beaucoup plus rythmée. Pour favoriser une histoire limpide au déroulement précis, l’auteur sacrifie un peu la complexité et la profondeur pourtant si importantes dans l’œuvre de Shakespeare.

Heureusement, la distribution, elle, ne manque définitivement pas de profondeur. Alexandre Goyette traduit merveilleusement sur scène la complexité du personnage de Caïus Marcisus, alias Coriolan qui réussit mal à distinguer ses propres envies de celles de sa mère dont il se trouve sous l’emprise dans un désir profond de la satisfaire. Anne-Marie Cadieux incarne, dans un jeu qui frôle la perfection, Volumnia, cette mère ambitieuse et écrasante qui fait de son fils l’instrument de ses propres ambitions afin qu’il devienne tout ce qu’elle ne peut devenir elle-même. La distribution se trouve également enrichie des talents incontestables de Rémy Girard, Louise Bombardier, Philippe Thibault-Denis, etc. Tous donnent corps à leur rôle de façon convaincante. Tous les fins détails des costumes, des ambiances sonores et des éclairages ajoutent au jeu adroit de cette distribution sans faille pour créer des atmosphères sur mesure qui nous plongent complètement dans l’œuvre.

Robert Lepage est en terrain connu avec Shakespeare. À de nombreuses reprises, le metteur en scène s’est frotté aux œuvres de ce «secoueur de plumes». La mouture 2018-2019 de son Coriolan offre quantité d’effets visuels époustouflants et regorge d’inventivités scénographiques qui valent définitivement la peine d’être vues, et même revues. Mais on peut aussi se demander, au final, si le brillant éclat de génie de metteur en scène de Lepage ne fait pas un peu d’ombre au génie théâtral de Shakespeare.

Crédits Photos : Yves Renaud