La Meute: un jeu de prédateurs et de proies à La Licorne

Abordant des thématiques plus qu’actuelles, la dernière pièce du Théâtre La Manufacture nous transporte dans une histoire de suspense crue et poignante. Dans une intense vague de paroles confuses et troublantes, la protagoniste, incarnée par Catherine-Anne Toupin, nous partage son lourd et mystérieux fardeau. Elle nous entraîne par la suite dans son séjour dans un coin reculé. Un séjour rempli de révélations et de retournements de situations qui ne donne qu’envie au spectateur de comprendre ce qui lui est arrivé et la réelle raison de sa venue. Grâce à une mise en scène sobre mais efficace, La Meute est une pièce forte en émotions et qui nous fait hautement réfléchir sur notre propre réalité.

Ce ne sont que des mots ?

Troublée et renversée par la perte de son emploi, Sophie se rend dans une petite maison de campagne afin d’y passer quelques jours, histoire de prendre du temps pour elle. Elle se fait accueillir par Martin, un homme d’allure sympathique et hospitalière, qui habite avec sa tante Louise.  Au fil de la pièce, Sophie et lui finissent par tisser des liens par le biais de soirées arrosées et de confessions croustillantes. Au final, on découvre peu à peu les vraies intentions de la jeune femme qui n’est pas seulement là pour se refaire une santé. Elle ne s’est peut-être pas retrouvée par hasard dans ce trou perdu…

Il n’est jamais facile de traiter de sujets aussi délicats que ceux abordés dans cette pièce. Catherine-Anne Toupin est une excellente comédienne, mais qu’en est-il de son talent d’autrice? Force est d’admettre qu’elle a une plume brillante. Elle réussit à traiter du harcèlement, du rapport à la sexualité et de la liberté d’expression d’une façon bien à elle avec un ton tranchant et un rythme qui ne laisse aucun temps mort. La pièce met l’accent sur le fait que chaque mot, chaque phrase a sa portée et son impact. Elle nous fait réfléchir quant à notre façon de s’exprimer et dire ce que l’on pense dans une époque où le poids de nos propos est remis en question par rapport aux limites de ce qui est acceptable. Le spectateur encaisse l’information à coup de répliques incisives, sans parler de la façon dont l’intrigue monte en intensité de scène en scène.

En effet, le texte s’amorce en laissant le public dans le mystère et le flou tout en posant dès le départ toutes les pierres du climax final dès le premier monologue dans un tourbillon de pensées sombres et choquantes. Le texte est d’ailleurs parsemé de monologues qui surgissent à certains moments clés. Ces monologues sont en réalité les réflexion du personnage principal et c’est principalement dans ces moments que les éléments clés de l’intrigue nous sont dévoilés de façon subtile et intelligente. Le début de la pièce laisse la porte ouverte à toutes sortes de scénarios possibles et le dénouement est assez inattendu.

La mise en scène  de Marc Beaupré est, quant à elle, d’une simplicité déstabilisante. En effet, outre le praticable servant de lit et la table de la cuisine, les comédiens jouent dans un décor vide et dépourvu de détails. Ce choix scénique nous force à se concentrer sur ce qui se passe et ce qui se dit. Heureusement, le texte est assez puissant à lui seul pour nous plonger dans l’intrigue. Il faut mentionner le solide jeu d’acteurs des trois comédiens qui réussissent à habiter cet espace austère tout en restant convaincants. Le metteur en scène a également fait de bons choix d’éclairages venant appuyer l’émotion et l’ambiance de l’histoire, en plus de découper les moments de dialogues et les temps de réflexion de Sophie. On peut aussi mentionner le choix judicieux d’utiliser une lumière d’arrière-scène qui éclaire les personnages de dos ne laissant voir que leur silhouette. L’éclairage génère une rupture de chaud à froid qui est très efficace et qui sert très bien le récit.

De victime à  bourreau 

Le tour de force de cette histoire est la façon dont Catherine-Anne Toupin a développé les nuances et les contradictions des personnages par le biais de leurs idées et de leurs réflexions. En effet, à la fin, on se retrouve avec une perception ambiguë, autant de Sophie que de Martin. On nous présente ces deux personnages comme de simples victimes marquées par la vie qui ne leur a pas laissé de cadeaux. C’est lorsque la vérité nous est dévoilé qu’on se retrouve perplexe. Sont-ils réellement que de simples victimes? Notre empathie est chamboulée alors qu’on en vient à un véritable renversement où le bourreau devient victime et vice versa. Il est intéressant de voir des personnages nuancés de la sorte de sortir du cliché du bon et du méchant. La vie n’est jamais noire ou blanche, chaque individu a sa part de zone grise, chose qui est très exploité dans cette pièce.

Si vous n’avez pas encore vu la pièce, dépêchez-vous de vous procurer des billets pour les supplémentaires qui se dérouleront jusqu’au 23 novembre.

Crédit Photo : Courtoisie La Licorne