Seul Ensemble : une douce folie qui fend le coeur

Serge Fiori y rêvait depuis plus de 15 ans : voir son oeuvre être au service des acrobaties d’un cirque. Après qu’il ait été frappé par la sensibilité et le talent plus grands que nature du Cirque Éloize, voilà que le splendide moment de grâce naît enfin. Seul Ensemble, qui a eu droit à sa première médiatique, hier, au Théâtre St-Denis, prouve sans équivoque que Fiori avait toutes les raisons de croire en ce projet qui est une éblouissante réussite à tous les niveaux.

Les gazouillis des oiseaux et les projections de papillons emblématiques de la pochette du disque Dixie accentuent la fébrilité et nous préparent habilement au délicieux choc qui nous attend dès les premières notes de Vert qui ouvre l’impressionnant bal. Déjà, inexplicablement, l’émotion nous prend à la gorge. Une envie d’éclater en sanglots nous submerge. La beauté dans sa plus pure expression émane de partout, c’en est presque trop. Une atmosphère sacrée s’imprègne de la salle qui applaudit et crie d’étonnement fréquemment sans la moindre trace d’obligation. Tous les spectateurs réalisent rapidement qu’ils assistent à un instant d’exception, inoubliable, voire légendaire.

Louis-Jean Cormier, Alex McMahon et Guillaume Chartrain apportent un regard moderne finement construit aux pièces de Fiori sans dénaturer l’originalité et l’actualité des propos. C’est particulièrement probant sur Viens danser qui prend aisément une tangente électro et Dixie qui embrasse subtilement le rockabilly. Remarquables en elles-mêmes comme l’écoute de l’album du spectacle (disponible depuis le 8 mars) le témoigne, les chansons laissent toutefois totalement sans voix et prennent un sens complet lorsqu’elles se mélangent à la scénographie magnifiquement sobre et vraie. Piochant dans tous les disques de Fiori et d’Harmonium, la sélection des chansons, qui a subi de fructueuses modifications,  s’enchaîne avec cohérence à la trame narrative du spectacle.

Rien ne parait superflu dans cette production qui ne perd jamais son fil conducteur qui est de montrer comme il est beau de vivre ensemble autant dans les tempêtes que dans les ivresses. Influencé par les années 70, le décor, tout en offrant des clins d’œil amusants à la carrière de Serge Fiori, privilégie un jeu d’éclairage en synchronicité avec les mouvements et les harmonies pour en mettre plein la vue à l’auditoire. Imaginés par Marcella Grimaux, les vidéos et effets visuels qui se déplacent à travers deux toiles transparentes permettent à l’art qu’est le cirque d’émerveiller d’une manière magnifiquement imprévisible. Le cocon multicolore et la plaque tournante au centre de la scène complètent le tout avec brio.

Dans un savant équilibre de moments touchants et de délires festifs, jonglerie, têtes de lapin, de longs sauts et des pirouettes saisissantes s’incorporent avec un naturel désarmant. La danse contemporaine occupe une place de taille, et ça ne vient pas à l’entrave des acrobaties puisque les chorégraphies de Johanne Madore se distinguent par leur précision désarmante. Les danseurs chavirent par leur aisance et leur liberté. Les portées et contorsions n’ont pas peur d’explorer l’espace et le silence. Seul Ensemble transpire la poésie jusqu’à la poudre qui s’envole des équipements! Les voltiges acrobatiques sur les fils de fer tiennent en haleine et déconcertent par leur ambiance aérienne. En fin de parcours, Angelica Bongiovonni hypnotise avec sa Roue Cyr et le tournoiement de sa sublime robe blanche. Les spectateurs sont agréablement étourdis par ces tourbillons démontrant une technique irréprochable.

À l’intérieur d’anecdotes de Fiori relatant la création et l’intention derrière certaines de ses succès, les artisans traduisent avec éclat l’urgence de vivre qui se dégage des nuances déchirantes dans la voix éraillée de Serge Fiori et des harmonies en crescendo qui serrent la poitrine. Bref, Seul Ensemble est irrésistiblement fort et magique. Le spectacle est présenté au Théâtre St-Denis jusqu’au 31 mars 2019. Il reste encore quelques bons billets ici.

Crédits Photos : Frédérique Dadié/Éklectik Média