Devant un faisceau lumineux centré sur l’épais rideau côtelé noir de l’Usine C, Pierre Lapointe, élégamment vêtu d’un long manteau soyeux et d’une chemise blanche standard, s’avance pour introduire sa tournée liée à l’album Pour déjouer l’ennui qui a amorcé sa courte résidence montréalaise la veille, le 25 février, à la même salle. Une entrée en matière toute simple annonçant l’atmosphère apaisante et conviviale de cette soirée.
Des balbutiements instrumentaux entonnent doucement la jolie berceuse adulte Amour bohème alors que le rideau se dresse encore bien fermement. Le public déjà charmé découvre enfin, sur le titre Tatouage, le visage des quatre musiciens barbus (les fidèles complices Félix Dyotte et Joseph Marchand aux guitares, José Major aux percussions et Philippe Brault à la direction musicale et aux basses ) entourés par des rideaux à paillettes dorées longeant les côtés et l’arrière-scène, avec une gigantesque boule miroir accrochée au plafond en prime. Un décor à la fois chic et sobre qui épouse à merveille l’irrésistible personnalité contrastante de l’auteur-compositeur-interprète nouvellement Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la république française.
Ici, Pierre Lapointe signe définitivement son expérience scénique la plus intimiste à ce jour, encore plus que ses offrandes livrées uniquement au piano, et ce même en considérant les solos musicaux savamment chargés sur des pièces comme Amour ou songe ou Encore un autre amour issue du projet Pierre Lapointe& les beaux sans cœur. Il se dégage de cette brillante sélection de titres abordant les amours déchus sous de multiples facettes une mise à nu si authentique et décomplexée qu’elle ouvre la porte à des confidences spontanées tantôt marquantes tantôt hilarantes.
Si la précédente tournée autour de l’album La science de cœur assumait de front son bouquet de ritournelles tristes, celle de Pour déjouer l’ennui explore sensiblement les mêmes mélodies en s’attardant davantage sur l’espoir amoureux et la belle nostalgie des joies d’enfance contenus dans ces dites oeuvres. Alors qu’il s’extasie sur les réarrangements planants et poignants de classiques d’antan tels que les sublimes Nu devant moi, Tel un seul homme et Nous restions là , le public apprivoise attentivement et avec la même satisfaction les pépites du nouvel album comme la pièce titre écrite en collaboration avec Julien et Hubert (Lenoir) Chiasson. Il devient rapidement en pâmoison devant ce mélange si homogène et déjà maîtrisé qui ne perd jamais de vue sa ligne conductrice.
Même le principal intéressé se piège dans son propre jeu. Tout en conservant un sympathique ton humoristique misant sur des malaises plutôt cocasses avec ses musisicens qu’il met tendrement en valeur et des anecdotes pertinentes sur la démarche artisitique derrière plusieurs créations, Pierre Lapointe accorde une place de taille à l’improvisation et au moment présent, ce qui le fait adorablement flancher à l’occasion. L’effervescence bouillonnante et l’affection profonde de la salle à son égard le pousse à dévoiler des informations intimes mais jamais sensationnalistes sur la relation ayant inspiré la chanson Monarque des Indes écrite avec Albin de la Simone. Il s’étonne lui-même de ces révélations, tellement qu’il ne peut s’empêcher de rire et décrocher pendant la performance. Sa manière de continuer sans être débiné et de simplement acceuillir la situation démontre sa passion dévorante du métier et sa capacité à provoquer, volontairement et involontairement, des instants magiques inoubliables.
Pierre Lapointe s’en donne à cœur dans les pas de danse rigolos et les regards exagérément intenses qui lui permettent à la fois de divertir et de s’investir sincèrement dans les histoires envoûtantes qu’il raconte. Parmi celles-ci, il faut mentionner 27-100 rue des partances dans laquelle le piano est troqué pour le ukulele. Un choix audacieux compte tenu de la portée classique de cette pièce mais totalement réussi car il propulse cette oeuvre bouleversante à un autre niveau sans la dénaturer. Idem pour 2 x 2 rassemblés, ce succès radiophonique inexplicable pour son auteur et qui, de son propre aveu, jouera partout pour souligner son décès, qui jouit ici d’une savoureuse version acoustique, d’une chorégraphie rudimentaire mais amusante et d’une chorale amateure timide mais heureuse d’admettre avec un artiste adulé que les chutes ne briseront jamais complètement les rêves. C’est bon de se rappeler sans prétention cette poursuite vertigineuse mais absolument possible du bonheur…et Pierre Lapointe le comprend à merveille avec ce spectacle.
Pierre Lapointe se produira à l’Usine C jusqu’au 29 février 2020. L’horaire complet est disponible ici.
Crédits Photos : Stéphanie Payez, Éklectik Média